Anomalies des générateurs de vapeur : comprendre et prévenir

La fissuration des tubes, des vibrations anormales... sont des risques connus pour les générateurs de vapeur des centrales. La recherche aide à mieux appréhender ces phénomènes et à inciter les industriels à optimiser leurs inspections. Les générateurs de vapeur (GV) sont soumis à des pressions et températures extrêmes : 150 bars dans la partie primaire, 90 dans la secondaire, et 300 °C. Ils sont le siège de phénomènes difficiles à modéliser et à contrôler. Comment s’assurer que le dossier de sûreté d’un industriel les concernant s’appuie sur des calculs pertinents et avance des conclusions légitimes ? Pour mener leurs expertises, les spécialistes se basent sur leurs connaissances et les résultats de recherches.

R52-D-Simulation numérique de l’écoulement le long des tubes d’un générateur de vapeur.  Ce zoom montre les zones de contact entre les tubes (ronds) et les barres anti-vibratoires (rectangles)
Simulation numérique de l’écoulement le long des tubes d’un générateur de vapeur. Ce zoom montre les zones de contact entre les tubes (ronds) et les barres anti-vibratoires (rectangles) - © IRSN

Le risque de corrosion

La corrosion des tubes de GV sous l’effet des impuretés apportées par l’eau est un autre risque investigué. En 2012, l’exploitant découvre des fissures dues à la corrosion dans des tubes en nuance 600TT4. Depuis, d’autres GV rencontrent ce phénomène. « Les GV avec des tubes en alliage 600TT sont en cours de remplacement progressif par des matériels aux tubes en alliage 690, supposé insensible à la corrosion. Malgré cela, la corrosion reste un enjeu de sûreté important. Elle doit pouvoir être analysée pour les futurs GV, pour lesquels il y a très peu de données pertinentes », expose Ian de Curières, expert chimiste. Pour renforcer son expertise, l’IRSN engage en 2014 un programme de R&D. Il vise à mieux comprendre la corrosion des tubes en 600TT – équipant encore une partie du parc – et à vérifier la résistance du nouvel alliage 690. En partenariat avec Framatome, les experts supervisent des tests de corrosion sur des éprouvettes témoins dans des conditions chimiques représentatives. « Nous avons mis à profit vingt-cinq ans de retour d’expérience sur la composition des boues corrosives récupérées en fond de GV », précise l’expert.

Sonder les incohérences

La plateforme Civa illustre la démarche de recherche et développement (R&D) de l’Institut en soutien à l’expertise. Codéveloppée1 depuis 2004 avec le CEA2, elle modélise numériquement et analyse des données des contrôles non destructifs (CND) de divers composants. Les principales techniques d’inspection utiles lors de la fabrication et la maintenance sont simulées : ultrasons, radiographie, courants de Foucault (CF)3 (voir infographie : comment situer un défaut dans un tube de générateur de vapeur ? ). « Un module a été créé pour simuler le contrôle des partie courbes – dites cintrées – des tubes des GV où circule l’eau du circuit primaire. Il simule aussi l’effet des plaques entretoises qui maintiennent ces tubes en un faisceau tubulaire », précise Jean-Marc Decitre, expert en CND. La fissuration des tubes et le colmatage des plaques entretoises constituent des risques de sûreté connus. « Avec ce module, les experts reproduisent numériquement les contrôles par CF effectués par EDF pour détecter et caractériser les fissures des tubes et le colmatage des plaques entretoises. Nous analysons les procédés de contrôle et nous nous prononçons sur leur pertinence », poursuit l’expert.
Grâce à ce développement, l’IRSN observe en 2019 une limitation de l’évaluation du colmatage des plaques entretoises. Les experts réalisent qu’avec l’outil habituel des contrôles de l’électricien – la sonde axiale –, deux profils de colmatage bien distincts de cette plaque produisent potentiellement des signaux CF semblables. Ceci peut entraîner une mauvaise estimation du taux de colmatage. Ils recommandent à l’industriel d’améliorer cette technique d’inspection. Parallèlement, les spécialistes en CND de l’IRSN étudient un nouveau procédé de contrôle évaluant le colmatage avec plus de précision. « Cette R&D peut conduire à terme à breveter une sonde optimisée pour cette application », avance le spécialiste.

Des contrôles réguliers

Après dix-huit mois d’expérimentations et plusieurs années d’analyse des résultats – jusqu’à la caractérisation de la corrosion par microscopie électronique à transmission –, le projet s’achève en 2021, avec la soutenance de la thèse de Jihane Ben Mohamed. Réalisée en partenariat avec l’École des mines de Saint-Étienne, elle porte sur la corrosion fissurante des alliages de tubes de GV en présence de boues polluées par du plomb ou du soufre. L’un de ses résultats est essentiel : « En présence de ces polluants, la corrosion pourrait aussi affecter la nuance 690 », révèle Ian de Curières. Ce constat, discuté avec EDF, pourrait influencer l’exploitation future des GV. « Pour prévenir cette dégradation des tubes, une maîtrise rigoureuse de la chimie du fluide du circuit secondaire est appliquée, avec des contrôles réguliers. Au vu des résultats de l’alliage 690, ces exigences sur le fluide secondaire ne pourront vraisemblablement pas être relâchées malgré leur coût », conclut le chimiste. Autre risque : l’usure des tubes. L’IRSN participe au programme de recherche internationale Tube Integrity Program (TIP)5, coordonné par Patrick Purtscher, ingénieur à l’autorité de sûreté nucléaire américaine, Nuclear Regulatory Commission (NRC) (lire webmag). Il étudie les vibrations anormales. Elles se produisent parfois sous l’effet de l’écoulement du mélange d’eau et de vapeur à l’extérieur des tubes. Lesinteractions fluide-structure peuvent entraîner un frottement excessif de ces derniers contre les barres anti-vibratoires qui les maintiennent. « Pour comprendre comment se créent ces vibrations, il faut connaître l’évolution du mélange eau-vapeur dans les conditions extrêmes de température et de pression des GV », indique Daniele Vivaldi, spécialiste en thermohydraulique. Pour y parvenir, le Laboratoire de statistique et des méthodes avancées (LSMA) de l’IRSN à Cadarache (Bouches-du-Rhône) engage en 2021 des études expérimentales. Elles portent sur diverses conditions d’écoulement diphasique au sein d’un faisceau tubulaire à échelle réduite et à pression atmosphérique. « Si le LSMA développe une approche de simulation numérique qui reproduit les résultats de ces expériences, nous pourrons extrapoler sa pertinence aux conditions plus rudes du GV », ajoute le spécialiste. À terme, ce programme contribuera également à renforcer l’expertise.

 

1. Pour certains modules spécifiques aux besoins de l’IRSN.
2. Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
3. Un contrôle par induction électromagnétique détectant et caractérisant les défauts de surface et proches de la surface.
4. Les alliages 600TT et 690 (nom) sont principalement à base de nickel et de chrome.
5. Tube Integrity Program (TIP), programme mené en France, aux États-Unis, au Canada, en Corée du Sud et piloté par l’homologue américain de l’ASN.

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L’usure des tubes : les recherches internationales

L’usure des tubes des générateurs de vapeur est un point de vigilance pour la sûreté. Pour renforcer son expertise dans ce domaine, l’IRSN participe au programme de recherche international TIP (Tube Integrity Program)1. Repères s’est entretenu avec son coordinateur, Patrick Purtscher, ingénieur à la Commission de réglementation nucléaire (NRC), l’autorité de sûreté nucléaire américaine*.


INFOGRAPHIE - Comment situer un défaut dans un tube de générateur de vapeur ? ​

Les tubes de générateurs de vapeur installés sont accessibles aux opérateurs. Pour détecter et caractériser d'éventuels défauts, le recours à une sonde à courants de Foucault peut être une solution. L'Institut simule ces résultats afin d'évaluer un tel contrôle.

R52-D-Infographie : Comment situer un défaut dans un tube de générateur de vapeur ? ​

©ABG Communication/Magazine Repères/Médiathèque IRSN



Dossier publié en janvier 2022