Générateur de vapeur : quel suivi est réalisé par les experts ?

La sûreté des générateurs de vapeur est essentielle. Pour l’améliorer, les experts de l’Institut assurent un suivi et émettent des avis. Par exemple, face au risque de rupture brutale de l’acier, un des avis préconise que les centrales concernées adaptent leur conduite. Pour éviter un accident, ils recommandent plusieurs points de vigilance.

Experts de l’IRSN Thierry Sollier (à gauche) et Jean-Marc Decitre (au centre)  étudient les résultats d’un contrôle non destructif avec Mikael Delbroise,  ingénieur de Framatome à Saint-Marcel (Saône-et-Loire)
Experts de l’IRSN Thierry Sollier (à gauche) et Jean-Marc Decitre (au centre) étudient les résultats d’un contrôle non destructif avec Mikael Delbroise, ingénieur de Framatome à Saint-Marcel (Saône-et-Loire) - © Joseph Gobin/Médiathèque IRSN

Le 7 avril 2015, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rend publique une anomalie relative à la composition de l’acier dans certaines zones de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville (Manche). Cette anomalie – une trop forte teneur en carbone par endroits – touche aussi les aciers des fonds de générateurs de vapeur (GV) de dix-huit centrales françaises. Depuis 2006, l’IRSN a émis soixante-trois avis sur les GV : fabrication, installation, démantèlement, renouvellement. Dans ce dossier, Repères fait le point sur ces suivis, expertises et recommandations pour améliorer la sûreté de ce composant essentiel des réacteurs à eau sous pression (REP). Dans un REP, deux circuits – primaire et secondaire – confinent la radioactivité dans le milieu primaire et fournissent la vapeur qui alimente la turbine. Leur point de rencontre – le GV – transfère la chaleur du circuit primaire vers l’eau du secondaire. Vaporisée, celle-ci entraîne la turbine. « Un accident redouté est une contamination du circuit secondaire au niveau du GV, et des rejets possibles dans l’environnement », explique Thierry Sollier, expert en contrôles non destructifs (CND). Pour l’éviter, l’exploitant évalue si des défauts constatés pourraient compromettre la sûreté. L’IRSN les expertise sur saisine de l’ASN. 

R52-D-Le générateur de vapeur (GV) refroidit le cœur du réacteur et contribue à la production électrique. Remplacement d’un GV de la centrale de Cruas-Meysse (Ardèche)
Le générateur de vapeur (GV) refroidit le cœur du réacteur et contribue à la production électrique. Remplacement d’un GV de la centrale de Cruas-Meysse (Ardèche) - © Jean-Marie Huron/Signatures.Médiathèque IRSN

Fabrication : écarts sous surveillance

R52-D-Fissure de fatigue thermique sur un tuyau de générateur de vapeur en acier inoxydable.
Fissure de fatigue thermique sur un tuyau de générateur de vapeur en acier inoxydable. - © Thierry Sollier/IRSN

En 2015, les anomalies de teneur en carbone créent une situation tendue. L’enjeu est fort : l’arrêt possible de plusieurs réacteurs. Nathalie Stenne, experte des équipements mécaniques, se souvient : « Notre équipe a travaillé d’arrache-pied pendant trois mois pour examiner les dossiers d’EDF. » Les experts analysent trois points techniques. Ils étudient l’évaluation par l’industriel de la taille et de la répartition des défauts en utilisant des CND. Puis, ils examinent les propriétés mécaniques du matériau des GV. Enfin, ils valident les évolutions de pression et de température en fonctionnement normal ou accidentel, considérées par l’industriel comme susceptibles de solliciter l’équipement. Avec ces données, les experts vérifient les calculs relatifs à l’impact de ces défauts sur la résistance de l’acier. « Pour valider les transitoires thermohydrauliques, certains ont été reproduits avec des simulations menées avec le code de calcul avancé de thermohydraulique pour les accidents de réacteurs à eau, Cathare », rapporte Caroline Heib, experte en thermohydraulique. Le principal risque est une rupture brutale de l’acier sous l’effet d’un refroidissement. En 2016, un avis de l’IRSN préconise que les centrales concernées adaptent leur conduite. « Nous recommandons de renforcer ses mesures compensatoires », explicite Nathalie Stenne. 

Expertiser le matériau et les contrôles

L’IRSN estime nécessaire4 que l’exploitant approfondisse la caractérisation des anomalies. « EDF a  déployé des essais destructifs sur des pièces témoins identiques, commandées auprès de fournisseurs, le Japonais JCFC1 et le Français du Creusot en Saône-et-Loire, Framatome », décrit Nathalie Stenne. La vérification par les experts des essais côté JCFC, objet d’un avis mi-20214, conclut à l’absence de risque. « Mi-juin, l’ASN lève les mesures compensatoires pénalisantes imposées jusque-là pour les réacteurs concernés », relate la spécialiste. L’expertise des pièces issues du Creusot se poursuit. En 2020, après enquête, l’IRSN émet un avis4 sur les défaillances organisationnelles et humaines, à l’origine des anomalies dans cette usine (voir la vidéo, L'usine du Creusot : diagnostic organisationnel).

R52-D-Les parois des tubes des générateurs de vapeur font 1 mm d’épaisseur. Les échanges thermiques nécessaires à la production de l’électricité sont ainsi très performants. C’est aussi un facteur de fragilité, très surveillé
Les parois des tubes des générateurs de vapeur font 1 mm d’épaisseur. Les échanges thermiques nécessaires à la production de l’électricité sont ainsi très performants. C’est aussi un facteur de fragilité, très surveillé. - © Joseph Gobin/Médiathèque IRSN

Les experts se penchent sur les joints soudés entre les viroles – ces cylindres qui constituent l’enveloppe des GV – et le fond. Un traitement thermique appliqué après les soudures améliore leurs caractéristiques mécaniques. Depuis 2008, l’industriel utilise un procédé nouveau. « Avec une réchauffe localisée, il vise à relâcher les contraintes au sein de la soudure », détaille Lili Ducousso-Ganjehi, experte en CND. Mais ce procédé est imparfait, en raison des surchauffes ou des sous-chauffes. En 2020, une importante surchauffe est détectée. Elle crée des défauts sur un composant de remplacement pour une centrale. Framatome réalise des contrôles sur une maquette à l’échelle1. L’IRSN les expertise en 20214. « Pour vérifier que nous parvenons au même résultat, nous ré-analysons les données expérimentales brutes avec d’autres types de calcul », explique Victor Garric, expert en métallurgie. De son côté, EDF définit les caractéristiques du défaut détectable par des CND pour lequel l’absence de nocivité doit être établie par l’analyse mécanique. En 2020, l’IRSN analyse tous les contrôles réalisés sur des joints soudés entre les viroles et le fond. Il émet une réserve4: « La comparaison des résultats obtenus en fabrication et en exploitation conduit les experts à s’interroger sur la fiabilité et les performances des contrôles dans une zone ayant une variation microstructurelle. Nous demandons à EDF d’améliorer et de réaliser de nouveaux contrôles dans cette zone. Les résultats sont attendus pour 2023 sur un des GV du réacteur 4 de Blayais », raconte Lili Ducousso-Ganjehi.

Exploitation : anticiper l’incident

Experts de l’IRSN Thierry Sollier (à gauche) et Jean-Marc Decitre (au centre)  étudient les résultats d’un contrôle non destructif avec Mikael Delbroise,  ingénieur de Framatome à Saint-Marcel (Saône-et-Loire)
Experts de l’IRSN Thierry Sollier (à gauche) et Jean-Marc Decitre (au centre) étudient les résultats d’un contrôle non destructif avec Mikael Delbroise, ingénieur de Framatome à Saint-Marcel (Saône-et-Loire) - © Joseph Gobin/Médiathèque IRSN

Épais d’un millimètre et longs d’une vingtaine de mètres, les tubes en alliage 600TT ou 6902 des GV assurent le contact – et l’échange thermique – entre les circuits primaire et secondaire. Divers endommagements les menacent. Leur rupture en exploitation est redoutée. « Ce scénario peut causer un rejet radioactif dans l’environnement. Il est capital d’anticiper le déroulement d’un tel accident », explique Marc Petit, expert en équipements et structures. Si la France n’en a pas connu, quatorze ont déjà eu lieu dans le monde. L’IRSN expertise aussi le programme de maintenance préventif d’EDF. Le colmatage des plaques entretoises3 provient des impuretés. « Il perturbe l’échange thermique, peut augmenter la vitesse d’écoulement du fluide et faire vibrer les tubes de manière excessive. Il y a un risque de fissure, voire de rupture », expose Thierry Sollier. « Nous estimons des taux de colmatage à ne pas dépasser », souligne Géraldine Graff, experte en équipements mécaniques. L’IRSN contribue à l’amélioration constante de l’évaluation de ces taux. Ailleurs, le colmatage est estimé par un autre CND : les courants de Foucault (lire article : anomalies des générateurs de vapeur : comprendre et prévenir). Là encore, l’IRSN indique que les estimations ne sont pas toujours en phase avec la réalité. Pour faire avancer la sûreté, EDF devra renforcer ses contrôles visuels des plaques intermédiaires. 

1. Japan Casting and Forging Corporation. 

2. Les alliages 600TT et 690 (noms commerciaux) sont principalement composés de nickel et de chrome. 

3. Ces plaques soutiennent le faisceau de tubes et disposent de passages d’eau. 

4. Liste des avis de l'IRSN :


EN CHIFFRE

  • 43

    C’est le nombre de fonds de générateurs de vapeur potentiellement impactés par les anomalies carbone repérées en 2016 

  • 3 500 à 5 600

    Ce sont des tubes métalliques qui composent la surface d’échange thermique dans le générateur de vapeur, soit l’équivalent d’un terrain de football

  • 63

    c'est le nombre d'avis rendus par l'IRSN à propos des générateurs de vapeurs (GV) entre 2007 et 2021

INFOGRAPHIE - Générateurs de vapeur : quels sont les éléments surveillés

Pour éviter un accident et assurer la sûreté à long terme des générateurs de vapeur (GV), l'IRSN recommande plusieurs points de vigilance. Focus sur les quatre principaux éléments surveillés.

INFOGRAPHIE-R52-Générateur de vapeur

©ABG Communication/Magazine Repères/Médiathèque IRSN

Colmatage : nettoyer, boucher, remplacer

Lorsque le colmatage des plaques entretoises soutenant les tubes d’un générateur de vapeur (GV) est trop important, il faut dissoudre et extraire les oxydes de fer. « Ce nettoyage chimique est contrôlé, afin que ces produits ne corrodent pas les aciers », expose Ian de Curières, spécialiste en chimie. Depuis 2004, l’Institut a délivré plusieurs avis sur cette opération. Un avis de 2017 émet une réserve : le procédé proposé risque d’être trop corrosif. « L’exploitant a depuis modifié la température, la concentration en réactifs et la durée du nettoyage », détaille-t-il. Pour éviter la rupture ou la contamination radioactive du circuit secondaire, les tubes trop endommagés ou fissurés sont bouchés. Ceci affecte les échanges thermiques et la durée de vie du générateur. Plusieurs avis de l’IRSN concernent le taux de bouchage au-delà duquel le GV devrait être remplacé. Ceci appelle une vigilance nouvelle : « Les GV récents ont des tubes en alliage 690. L’échange thermique est meilleur. Ceci est favorable à la sûreté, sauf dans certaines situations, pondère Jérôme Roy, expert en thermohydraulique. L’IRSN vérifie donc qu’EDF met bien à jour la conduite de ses réacteurs et les scénarios d’accidents. »


VIDEO : Usine de forge du Creusot - Diagnostic organisationnel


Dossier publié en janvier 2022