Retour sur le séisme historique du Teil

Spectaculaire, le violent séisme survenu en 2019 dans la commune ardéchoise du Teil est étudié par l’IRSN pour affiner son expertise. Les experts espèrent ainsi mieux comprendre la dynamique de la faille des Cévennes et évaluer la probabilité d’une nouvelle rupture de sol en surface. 

Situé quasiment en surface, le séisme survenu au Teil, en 2019, provoque de nombreux écroulements partiels dans ce village ardéchois. Les secousses restent localisées et affectent peu les centrales proches de Cruas (Ardèche) et du Tricastin (Drôme). - © Stéphane Baize / IRSN

Le 11 novembre 2019, à 11 h 52, la terre tremble en Ardèche. Le village du Teil, près de Montélimar, connaît le séisme le plus violent (magnitude 5,4) observé en France depuis plus d’un demi-siècle. « Il est allé jusqu’à rompre le sol en surface, ce qui est rare en France », note Stéphane Baize, géologue-chercheur à l’IRSN, qui s’est rendu sur les lieux dès le lendemain pour faire des mesures, collecter des données et en tirer des enseignements scientifiques. Un réflexe que les experts de l’Institut adoptent après chaque séisme notable, en France et dans le monde, comme lors du séisme majeur observé en Turquie le 6 février 2023, pour évaluer les dégâts sur les infrastructures, ou celui, moins violent, survenu le 16 juin 2023 à La Laigne (Deux-Sèvres).
Si le séisme du Teil est, en 2019, si spectaculaire, c’est parce qu’il a lieu à très faible profondeur : moins de 2 kilomètres. Presque en surface, avec un épicentre tout proche du village. Les dégâts y sont importants et très localisés. Les centrales nucléaires les plus proches, de Cruas (Ardèche) et du Tricastin (Drôme), sont plus éloignées et ne sont pas vraiment menacées. Toutefois, les réacteurs de Cruas sont arrêtés pour contrôle pendant un mois. Et l’occurrence de ce séisme interroge sur la nécessité de rehausser le niveau sismique contre lequel ces deux centrales sont protégées.

Deux jours après le séisme survenu au Teil (Ardèche), les géologues de l’IRSN cartographient et mesurent les déformations, comme ici un décalage vertical de 15 à 20 cm. Un phénomène observé en surface pour la première fois en France métropolitaine. - © Stéphane Baize / IRSN

Nouveau séisme historique

La réglementation1 définit en effet le séisme maximum historiquement vraisemblable (SMHV), qui est le séisme le plus fort en intensité connu sur le site, déterminé à partir des documents historiques, comme les archives d’églises, ou des catalogues instrumentaux. La réglementation prévoit d’ajouter une marge de 0,5 degré en magnitude pour obtenir le séisme majoré de sécurité (SMS) auquel la centrale doit résister. Et depuis l’accident de Fukushima, l’autorité de sûreté demande que soit prise en compte une augmentation supplémentaire de 50 % des accélérations créées par le séisme pour les équipements vitaux dits « de noyau dur », ceux qui doivent fonctionner quoi qu’il arrive. Or l’intensité du séisme du Teil se situe entre le SMHV et le SMS pour le site de Cruas. « L’IRSN a donc recommandé que ce séisme devienne le nouveau séisme de référence pour la centrale de Cruas, située dans l’axe de la faille », précise Stéphane Baize.
Depuis, cette « faille des Cévennes » est scrutée de près, par l’Institut et par EDF, qui regardent, avec leurs collègues universitaires, si des séismes similaires ou plus forts ont eu lieu dans les deux derniers millions d’années. « Nous avons creusé une vingtaine de tranchées de 3 mètres de profondeur pour étudier les sols et voir s’ils ont été déformés », explique le chercheur. Tandis qu’EDF ausculte de son côté le sous-sol autour des deux sites de Cruas et Tricastin, sur le principe du sonar, pour visualiser les différentes couches.
Objectif ? Identifier dans un passé lointain l’occurrence de « paléoséismes » ayant eux aussi rompu la surface, pour mettre à jour le risque de séisme, évaluer la probabilité d’une nouvelle rupture de surface et d’un déplacement du sol. Pour cela, l’IRSN, en partenariat avec des laboratoires universitaires, met à jour une base de données2 des séismes modernes avec rupture de surface, pour en déduire des lois empiriques.

Des séismes similaires ont-ils déjà eu lieu autour du Teil (Ardèche) dans un lointain passé ? Des tranchées creusées à travers la faille de la Rouvière feront peut-être apparaître les déformations du sol qui les révéleront. - © Stéphane Baize / IRSN

Mesures uniques

Des détecteurs d’accélération – installés ici en 2017 sur le bâtiment réacteur de l’EPR de Flamanville – préviennent de l’occurrence d’un séisme et de la nécessité de mettre aussitôt le réacteur en sûreté. - © Alexis Morin/Médiathèque EDF

En parallèle, l’Institut tire profit des données mesurées lors du séisme du Teil pour mieux prédire la réaction des différents bâtiments. C’est ce que réalisent Benjamin Richard, ingénieur chercheur en génie civil, et son équipe. « Nous avons toutes les mesures d’accélérations qu’EDF a effectuées sur le site pendant le séisme. C’est vraiment unique », s’enthousiasme-t-il. Un séisme à proximité d’une centrale reste en effet un événement très rare. Ces données vont permettre, en particulier, de valider les simulations du comportement des appuis parasismiques en élastomère sur lesquels est posée la dalle de béton de la centrale de Cruas. Des appuis qui atténuent les vibrations transmises aux bâtiments

Sous la dalle de béton de la centrale de Cruas, en Ardèche, des appuis parasismiques en élastomère absorbent les vibrations que pourrait émettre un séisme. - © EDF Cruas-Meysse

Ces simulations numériques jouent un rôle clé à la fois dans la démonstration de sûreté apportée par EDF comme dans la contre-expertise que mène ensuite l’IRSN. Mais dans quelle mesure peut-on se fier aux réponses qu’elles donnent ? C’est la question à laquelle les experts de l’IRSN doivent répondre pour évaluer la résistance au séisme des bâtiments abritant les piscines de combustible de tous les réacteurs de 900 MWe. « Nous savons que le modèle utilisé par EDF et par nous-mêmes est très sensible aux incertitudes sur les données d’entrée. Et qu’une seule simulation n’est pas suffisante pour démontrer que tout se passe bien », précise Benjamin Richard. Le dialogue avec l’exploitant continue.

 

1. Règle fondamentale de sûreté n° 2001-01 : « Détermination du risque sismique pour le sûreté des installations nucléaires de base de surface. »
2. Base de données Sure (https://doi.org/10.1785/0220190144 et https://doi.org/10.1038/s41597-022-01835-z)


En chiffres

  • 500 ans

    C’est la période de référence utilisée par les règlements de constructions des bâtiments ordinaires pour définir le plus gros séisme historique.

  • 2 millions d’années

    C’est l’échelle géologique de temps durant laquelle le plus fort séisme connu est retenu pour les centrales nucléaires.

  • 1 G

    C’est la valeur des plus fortes accélérations du sol observées à l’épicentre du séisme du Teil (1 G correspond à une accélération équivalente à celle d’une chute libre, soit 9,8 m.s–2).

Pour en savoir plus

Avis 2021-00084 du 20 mai 2021
Note d’information du 14 novembre 2019 : Note-Information-Seisme-Teil-14112019.pdf (irsn.fr)
À chaque séisme : l’IRSN publie des fiches d’informations :  sur irsn.fr : Quelques séismes récents analysés par l’IRSN | IRSN
Articles PLS x IRSN : https://www.pourlascience.fr/sr/article-partenaire/mouvements-sismiques…
Séismes : Repères#38

https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/prise-compte-risque-sismiq…

 



Article publié en avril 2024