Centrale du Tricastin : le risque séisme est réévalué

Dans la vallée du Rhône, la centrale du Tricastin est conçue pour résister à un séisme de magnitude 5,2. Les experts de l’IRSN valident les études sur la robustesse des structures et des équipements. Ils réévaluent régulièrement l’efficacité des protections parasismiques. Une infographie permet de comprendre celles qui existaient à la conception et celles mises en place après l’accident de Fukushima au Japon.

Un mois après le séisme de 2016 en Italie, les experts de l’Institut se rendent sur place pour observer la géologie des failles.
Un mois après le séisme de 2016 en Italie, les experts de l’Institut se rendent sur place pour observer la géologie des failles. - © Stéphane Baize/Médiathèque IRSN

Le 12 février 2018, un séisme de magnitude 3,9 touche les environs de Saint-Hilaire-de-Voust, en Vendée. En 2016, c’est la région de La Rochelle (Charente-Maritime) qui subit un séisme de niveau 4. Cette actualité et la connaissance des événements du passé rappellent que la France possède des zones à risque et qu’il faut protéger les infrastructures sensibles qui y sont implantées. Parmi elles, les centrales figurent en bonne place. C’est pourquoi l’IRSN évalue régulièrement la résistance des installations aux risques sismiques.
Prenons un exemple : la centrale du Tricastin, dans la vallée du Rhône. Depuis sa conception, sur la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l’Institut a vérifié un point crucial : à quelle intensité de séisme faut-il dimensionner, puis vérifier périodiquement l’installation ? Les experts parlent d’« aléa sismique¹ ». « Ce niveau correspond au plus fort séisme historiquement connu dans la région du site d’implantation. Nous le majorons d’une demi-unité de magnitude pour prendre une marge de sécurité. C’est le “séisme majoré de sécurité” [SMS] », résume Christophe Clément, expert en aléa sismique pour la sûreté des installations nucléaires à l’Institut. 

Une réévaluation tous les dix ans

En août 2016, un séisme frappe le village de Castelluccio, près d’Amatrice, en Italie.
En août 2016, un séisme frappe le village de Castelluccio, près d’Amatrice, en Italie. - © Hervé Jomard/Médiathèque IRSN

Une fois cet aléa et les mouvements de sol correspondants validés, il faut expertiser les protections prévues par l’exploitant. L’enjeu est de savoir si celles-ci peuvent résister au niveau de séisme envisagé. Mais, après construction et mise en service d’une centrale comme celle du Tricastin, comment s’assurer que ces protections restent suffisantes ? « Tous les dix ans, lors des réexamens de sûreté, nous réévaluons le niveau d’aléa calculé par l’industriel, les dispositions de conception parasismiques retenues et les protections mises en place », répond Jean-Philippe Tardivel, expert en génie civil. L’IRSN peut préconiser une nouvelle analyse du comportement sismique de l’installation pour tenir compte de l’évolution des connaissances. Si l’installation a subi des modifications, les éventuels impacts sur son comportement en cas de séisme sont vérifiés. En fonction des résultats, l’exploitant devra proposer des renforcements qui seront évalués par l’Institut. 

Les digues doivent résister à un séisme extrême

Camions chargés de matériaux de remblai sur la digue du Tricastin (Drôme).
Camions chargés de matériaux de remblai sur la digue du Tricastin (Drôme). - © EDF/Cyril Crespeau - tous droits réservés - Oct. 2017

Depuis la catastrophe de Fukushima, certains équipements essentiels d’une centrale doivent pouvoir résister à un niveau d’aléa encore plus élevé, dit « séisme noyau dur » (SND). Le mouvement du sol définissant le SND doit être au moins 50 % plus élevé que celui associé au séisme majoré de sécurité utilisé pour le dimensionnement des installations (voir encadré).
Cela concerne également certains ouvrages environnants, comme les 5 kilomètres de digues qui protègent la centrale du Tricastin d’une inondation par le canal de Donzère-Mondragon. EDF a transmis une étude concluant que l’ensemble de ces digues resteraient stables en cas de SND. À l’été 2015, l’Institut a rendu un avis sur cette étude. « Dans un premier temps, nous avons étudié les accélérogrammes² choisis par l’industriel pour réaliser son étude de stabilité », indique Christophe Clément.
Entre 2014 et 2015, pour examiner les nouveaux éléments de démonstration produits par EDF, les experts se rendent sur place afin d’étudier ces digues et leurs particularités. Ils scrutent le dossier fourni par l’exploitant, qui ne répond toutefois pas à toutes leurs interrogations. Ils mènent diverses études complémentaires : analyse indépendante de la nature des terrains constituant les digues (données géotechniques), recoupement des calculs de l’exploitant par d’autres méthodes… Ils évaluent les risques d’érosion interne des digues en terre, grâce aux méthodes scientifiques récentes validées sur des centaines d’ouvrages à travers le monde. Les ingénieurs étudient des scénarios non retenus par l’industriel, tels qu’une réplique sismique avec possible dégradation de l’étanchéité du talus sablo-graveleux – constitué de sable, graviers, limons… – du côté du canal. 

La sismicité historique dans le sud-est de la France

Un tronçon de 400 mètres pose question

Au total, l’IRSN mobilise l’équivalent d’une année complète de travail d’ingénieur pour cette instruction. En août 2015, l’Institut rend son avis. « Dans l’ensemble, nos analyses confirment les conclusions d’EDF selon lesquelles les digues du Tricastin devraient résister en cas de séisme extrême », résume François Tarallo, expert en génie civil, qui a piloté ce dossier. Cette stabilité des digues semble même assurée au-delà d’un séisme extrême, y compris en cas de réplique, avec un risque d’érosion interne négligeable.
Toutefois, des incertitudes subsistent pour un tronçon de digue en graviers, de 400 mètres de long, situé en rive droite du canal (voir infographie). En cause : trop peu de données sur les matériaux sablo-graveleux qui le constituent. « Nous avons demandé à l’exploitant des données complémentaires sur la granulométrie et la densité de ces matériaux pour s’assurer qu’ils ne risquaient pas de se désagréger – on parle de “liquéfaction” – et donc de rendre les digues instables en cas de séisme extrême », ajoute François Tarallo.
En 2016, EDF réalise ces investigations géotechniques complémentaires sur les 400 mètres de digue concernés et conclut que la stabilité de cette portion est insuffisante. D’où la nécessité de la renforcer, pour résister à un SMS. Le 28 septembre 2017, les quatre réacteurs sont mis à l’arrêt, le temps des travaux requis par l’ASN. De nouvelles études géotechniques sont menées par l’exploitant. L’IRSN participe à une inspection, sur site. Début décembre, les experts confirment qu’il n’y a plus de risque ni de brèche ni d’inondation en cas de SMS. Ils relèvent toutefois un risque de glissements locaux qui ne remettraient pas en question la stabilité de la digue, mais occasionneraient des dégâts. Ils recommandent un programme de surveillance renforcée : le niveau de la nappe d’eau dans la digue sera régulièrement contrôlé. Le 5 décembre, l’Autorité autorise le redémarrage des réacteurs. EDF réalisera ultérieurement des renforcements complémentaires au SND.
L’exploitant accentue la surveillance de l’ensemble des digues, le long de la partie du canal qui conduit l’eau dans la centrale pour la refroidir : le rythme des inspections visuelles et des relevés du niveau d’eau à l’intérieur de ces digues a été triplé. Un renforcement similaire de la surveillance a eu lieu sur les digues de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), dont la résistance au SND a également été examinée par les experts.

Affiner la connaissance des caractéristiques des sites

Depuis l’été 2016, des ingénieurs effectuent des études de terrain dans les zones du Tricastin et de la centrale girondine du Blayais, dont la géologie particulière semble amplifier les ondes sismiques (voir le reportage).
Sur le sujet des séismes, les missions de l’IRSN ne se cantonnent pas aux seules expertises et avis. Il mène aussi des recherches. Avec un nouvel objectif : développer une méthode d’analyse intégrée allant de l’évaluation de l’aléa sismique… jusqu’à ses possibles effets sur les bâtiments et les équipements qu’ils contiennent. Baptisé « aléa-structure », ce programme de recherche devrait améliorer la protection parasismique des installations.

 

1. L’aléa sismique désigne la probabilité que des séismes se produisent dans une région géographique au cours d’une période de temps donnée et occasionnent des secousses du sol dépassant un certain seuil. 
2. L’accélérogramme est une analyse des valeurs d’accélération du sol en fonction du temps, produites par le passage des ondes à la suite d’un séisme.

 


INFOGRAPHIE - Le Tricastin : des protections parasismiques renforcées après Fukushima

Cette centrale de la vallée du Rhône a été conçue pour résister à un séisme de magnitude 5,2. Après la catastrophe de Fukushima, les experts ont défini un ensemble d’équipements ultimes capables de résister à des évènements exceptionnels. Ils seront mis en place sur plusieurs années par l’exploitant.

© Le Tricastin : des protections parasismiques renforcées après Fukushima - © Antoine Dagnan/Citizen Press/Médiathèque IRSN/Magazine Repères

DECRYPTAGE - Ce qui a changé après Fukushima

Un expert IRSN visite les installations « noyau dur » du réacteur à haut flux de l’Institut Laue-Langevin (ILL), à Grenoble (Isère).

Un expert IRSN visite les installations « noyau dur » du réacteur à haut flux de l’Institut Laue-Langevin (ILL), à Grenoble (Isère). - © Jean-Marie Huron/Signatures/Médiathèque IRSN

Après la catastrophe de Fukushima, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé aux exploitants des « évaluations complémentaires de sûreté » (ECS).
Un des principaux objectifs ? Vérifier le comportement des installations en cas de séisme plus fort que celui retenu pour leur dimensionnement. L’Autorité a imposé aux exploitants une proposition de l’IRSN : déployer un « noyau dur ». Il s’agit d’équipements ultimes destinés à réduire au minimum les conséquences en cas d’aléa naturel hors du commun… tel un séisme extrême. Les experts parlent alors de « séisme noyau dur » (SND).
Pour calculer ce SND, une préconisation de l’Institut a été retenue : combiner la méthode « déterministe » usuelle, fondée sur le plus fort séisme historique de la zone, majoré par sécurité, et une méthode « probabiliste » où l’on retient un scénario très rare sur des milliers envisagés. Pour les installations concernées par la mise en place d’un « noyau dur », le mouvement du sol définissant le SND doit être au moins 50 % plus élevé que celui associé au séisme majoré de sécurité (SMS) utilisé pour le dimensionnement des installations. Il doit également être au moins égal au mouvement sismique pouvant survenir une fois en vingt mille ans sur le site de l’installation.
L’IRSN a évalué les SND calculés par les exploitants. Principal concerné : EDF, avec ses 19 centrales. Selon l’analyse publiée fin 2015, la moitié des données de l’industriel sont convenables. Pour l’autre moitié, il devra apporter des éléments complémentaires : autres séismes historiques à retenir, activité des failles dans un rayon de 25 km, analyse de potentiels effets amplificateurs liés à la géologie de certains sites…


THÈSE - Comment choisir les accélérogrammes ?

Levent Isbiliroglu doctorant sismologue à l’IRSN.

Levent Isbiliroglu doctorant sismologue à l’IRSN. - © Céline Lelache/Médiathèque IRSN

Exploiter davantage d’accélérogrammes naturels pour mieux protéger les installations nucléaires en cas de séisme. C’est la conclusion de la thèse réalisée par Levent Isbiliroglu, aujourd’hui doctorant à l’IRSN. Pour évaluer la résistance au séisme des bâtiments, les experts se fondent sur des enregistrements en 3D de l’accélération subie par le sol lors des secousses qui se sont produites à travers le monde ; on parle d’accélérogrammes. Ces enregistrements sont stockés dans des bases de données internationales.
Les experts doivent y choisir ceux qu’ils jugent représentatifs du mouvement attendu pour le plus fort séisme possible dans la zone de l’installation concernée. Une fois sélectionnés, les accélérogrammes sont utilisés pour modéliser numériquement la tenue des bâtiments. Souvent, les ingénieurs en génie civil n’utilisent qu’un jeu réduit d’enregistrements répondant à des critères stricts – amplitude, fréquence… – et ils les adaptent au contexte du site. Une telle approche - dont Levent Isbiliroglu a montré les limites - est dite pragmatique. Elle est susceptible de biaiser l’évaluation de la tenue sismique des bâtiments.
En cause : des enregistrements se révélant très variables pour un même type de séisme. L’étude du doctorant préconise d’adopter plutôt une approche dite naturaliste. Prisée par de nombreux sismologues, celle-ci recommande d’utiliser davantage d’accélérogrammes naturels relevés sur site et d’inclure la variabilité naturelle.
De quoi préserver les caractéristiques initiales des signaux, leur variabilité inhérente et améliorer la fiabilité des calculs concernant la tenue des bâtiments.


En chiffre

  • 6,5

    le 30 octobre 2016, une secousse de magnitude 6,5 a frappé la région d’Amatrice, en Italie centrale. 

  • 10

    selon la loi de transition énergétique pour la croissance verte, les exploitants doivent réexaminer la protection parasismique des installations nucléaires tous les dix ans. 

  • 6

    la géologie des sites du Tricastin (dans la Vallée du Rhône) et du Blayais (Gironde) multiplie par environ 6 l’amplitude des ondes sismiques.

À LIRE - Des failles auscultées à la loupe près d'Amatrice

Des géologues de l’Institut participent à l’étude des failles formées lors des récentes secousses sismiques dans la région d'Amatrice, en Italie. Des missions de terrain indispensables pour mieux protéger les installations importantes et les réseaux (eau, gaz, électricité…). 

Depuis septembre 2016, des experts de l'IRSN se sont rendus trois fois dans la région des monts Sibyllins, près des villes d'Amatrice et de Norcia, en Italie centrale. Une zone dévastée par les secousses de six forts séismes survenus entre fin août 2016 et janvier 2017 : la première, de magnitude 6,0, a fait 300 morts et la plus forte a atteint une magnitude de 6,5. Objectif de ces missions menées avec plus d'une centaine d'autres géologues européens ? Observer et mesurer les effets des séismes sur le terrain. "Nous voulions saisir l’opportunité d’observer les failles générées par cette série de secousses car elles affleurent en surface", précise Stéphane Baize, chercheur en géologie à l’IRSN. Dans cette zone très montagneuse et difficile d'accès des Apennins, les chercheurs ont découvert une série de failles s'étirant sur près de 40 km. À certains endroits, elles ont formé des "murs" jusqu'à 2,5 mètres de haut, laissant apparaître le sol ou la roche à nu. "À d'autres, c'est beaucoup plus subtil, avec justes des fissures ou des plis – flexures – dans le sol ou le long des routes", ajoute Stéphane Baize. 

Une base de données internationale 

Sur le terrain, les scientifiques ont pris de nombreuses photos et effectué des relevés non destructifs : mesure de la taille des failles et de leur orientation, relevés topographiques 3D de haute définition à l'aide de lasers ou par photogrammétrie. En juillet 2017, avec des confrères italiens, les experts ont creusé des tranchées à la pelleteuse mécanique pour comprendre si ces failles ont subi d'autres séismes lors des derniers milliers d’années. 

Toutes les données recueillies seront entrées dans une base de données internationale que l'IRSN contribue à constituer avec d'autres instituts à travers le monde. Une base recensant un maximum d'observations de failles est en effet précieuse. Objectif : mieux prédire la taille des failles susceptibles de se former en cas de séisme sur telle ou telle zone… et donc les dommages qu'elles pourraient causer aux différentes installations – nucléaires, mais aussi barrages, pipelines, lignes de train à grande vitesse… De quoi affiner les protections parasismiques. 



Article publié en juillet 2018