Traiter le syndrome aigu d’irradiation

Le syndrome aigu d’irradiation, ou SAI, est la manifestation clinique la plus sévère d’une irradiation. Il survient lorsque l’organisme a été exposé à de fortes doses de radioactivité. Des années de recherche permettent d’en préciser les traitements, notamment à base de cellules souches, pour améliorer la prise en charge des personnes irradiées. 

Les cellules souches pluripotentes induites (iPS) ont suscité de grands espoirs thérapeutiques. Elles peuvent se différencier en tout type de cellule, comme des neurones, et contribuer à la reconstitution des tissus irradiés. - © Afsaneh Gaillard INSERM1084

Une forte irradiation, supérieure à 1 gray, se manifeste par des premiers symptômes souvent peu spécifiques : fatigue, nausées, vomissements, étourdissements… En 2006, un employé d’une usine belge d’agroalimentaire attend ainsi dix-sept jours avant de consulter son médecin de famille. Ce dernier fait le lien avec un incident survenu auparavant dans l’usine avec un stérilisateur, qui utilise une source radioactive puissante pour irradier les aliments. L' employé est resté vingt secondes en contact avec la source. Une prise de sang confirme l’irradiation ; l’Institut est alerté. L’ employé a eu de la chance : sans traitement, les 4 grays de radiation reçus conduisent une fois sur deux au décès.

L’irradiation entraîne en effet l’effondrement du système immunitaire. En cause, la destruction, dans la moelle osseuse, des cellules souches du sang qui se différencient en globules rouges ou blancs. Quand la dose de rayonnement est encore plus importante, de 6 à 30 grays, ce sont les cellules souches de l’intestin qui sont détruites, entraînant un syndrome gastro-intestinal.  
Le traitement consiste donc logiquement à stimuler les cellules souches résiduelles. « S’il en reste, elles sont activées avec des facteurs de croissance. Si le patient n’en a plus, il faut lui en greffer à partir d’un donneur compatible », résume Alain Chapel, chercheur en radiobiologie à l’IRSN. À partir de modèles animaux, l’Institut a contribué, au tournant des années 2000, à encadrer ce protocole de traitement dans lequel la greffe n’intervient qu’en dernier recours. « Car le greffon peut reconnaître le corps comme étranger et lutter pour le détruire. Cela peut conduire au décès », prévient le chercheur. 
Depuis 2010, la recherche médicale place beaucoup d’espoirs dans les cellules dites iPS, cellules souches pluripotentes induites, obtenues à partir de n’importe quelles cellules du corps après manipulations génétiques. « En sélectionnant, grâce à ce procédé, des cellules de personnes particulièrement compatibles, nous pouvons couvrir plus de 90 % des besoins de greffe de la population française avec seulement 150 donneurs », souligne Alain Chapel.
Mieux, grâce aux ciseaux moléculaires Crispr-Cas9, qui découpent l’ADN à volonté, il est possible aujourd’hui de modifier les antigènes des leucocytes humains (HLA), qui permettent au système immunitaire de reconnaître une cellule comme étrangère. « On obtient alors des cellules universelles utilisables pour n’importe quelle greffe d’organe », précise le radiobiologiste. L’IRSN collabore avec l’Établissement français du sang (EFS) et Sorbonne Université pour concevoir des « cellules médicaments » stockées et congelées, prêtes à l’emploi, pour traiter rapidement les patients souffrant du syndrome aigu d’irradiation.  

Brûlures radiologiques

Les cellules souches sont également efficaces pour traiter les irradiations plus localisées, les brûlures radiologiques, qui se comportent de façon très différente des brûlures classiques causées par la chaleur. « La brûlure radiologique évolue par vagues inflammatoires successives. Le patient a une rougeur, puis plus rien pendant quelques jours voire quelques semaines, puis ça recommence », explique Radia Tamarat, experte en thérapie cellulaire.
Crèmes et antioxydants montrent souvent leur limite lorsque l’irradiation dépasse les 25 grays. Il faut le plus souvent enlever toute la zone irradiée. « Au-delà d'une exposition localisée à 25 grays le tissu s’engage en effet vers une mort tissulaire qu’il est très difficile de traiter », prévient l’experte. Résultat : un trou béant, nécrosé, qui requiert une greffe de peau et de muscle, et l’injection là encore de cellules souches pour stimuler la vascularisation indispensable à la réparation du tissu. Quinze années d’étude ont été nécessaires pour préciser comment les utiliser. Un travail grâce auquel l’hôpital d’instruction des armées Percy, à Clamart, sur la base des travaux expérimentaux effectués à l’Institut, a pu traiter une dizaine de patients, ce qui lui confère une expérience unique.
La méthode a cependant des inconvénients : les cellules souches doivent être prélevées chez le patient, ou éventuellement la famille proche, et mises en culture deux semaines avant d’être réinjectées. Si demain un accident majeur fait un grand nombre de victimes, les médecins ne pourront pas greffer toutes les personnes atteintes.
D’où l’intérêt d’injecter non pas des cellules souches mais des vésicules qu’elles sécrètent. « Des petites vésicules messagères, ou exosomes, qui contiennent tout ce qui se trouve dans la cellule mère : protéines, facteurs de croissance, etc. », explique la thérapeute cellulaire. Un partenariat de dix ans avec des chercheurs de Singapour fournit des lignées stables de cellules souches, produisant des exosomes standardisées. Radia Tamarat a montré chez l’animal que ces exosomes pouvaient soigner les brûlures radiologiques et le syndrome gastro-intestinal. « Comme ces vésicules ont une membrane qui résiste à la congélation, nous pouvons envisager de stocker des vésicules de différents patients, y compris sous forme lyophilisée, prête à l’emploi, pour les utiliser en situation de guerre ou d’accident de masse », espère la chercheuse. Ces exosomes agiraient alors en surface, pour reconstituer la peau, en combinaison avec d’autres traitements, à base d’interleukine-21
 associée à des biomatériaux, qui régénèrent le muscle en dessous. Reste à mener toutes les études cliniques.

 

1. L’interleukine est une molécule messagère du système immunitaire qui contribue à la réponse naturelle du corps à une infection microbienne.

En chiffres

  • 1 gray

    C’est l’énergie provenant d’un rayonnement ionisant et absorbée par un organe, correspondant à 1 joule par kilogramme. Des premiers signes cliniques apparaissent.

  • 3 - 4 grays

    Dose globale de rayonnement entraînant un syndrome hématopoïétique, qui se traduit par un effondrement du système immunitaire.

  • 6 grays

    Dose globale de rayonnement entraînant un syndrome gastro-intestinal (diarrhées aiguës et hémorragie digestive potentiellement mortelle).

  • 20 grays

    Seuil de dose globale au-delà duquel un syndrome nerveux apparaît, avec convulsion, coma et décès rapide.


Article publié en octobre 2024