Centrales nucléaires : explorer l’histoire des tempêtes pour renforcer la protection des sites

Pour les centrales implantées sur le littoral, la connaissance des phénomènes météorologiques extrêmes est une composante majeure de la gestion des risques. Des scientifiques mènent des recherches sur les données historiques afin d’affiner la prévision des aléas naturels. Des travaux pris en compte lors des récentes visites décennales des réacteurs de 900 MWe.

Les abords de la centrale du Blayais (Gironde) inondés à la suite de la tempête Martin de décembre 1999
Les abords de la centrale du Blayais (Gironde) inondés à la suite de la tempête Martin de décembre 1999 - © Marie- Gobin/BEP/Sud-Ouest/MaxPPP

En 2010, Xynthia s’abat sur l’ouest de la France. De l’Aquitaine à la Normandie, des vents violents et de fortes marées provoquent une importante élévation du niveau de la mer. Des zones côtières sont submergées et les conséquences sont dramatiques : 59 morts et des dégâts matériels considérables. Si l’événement n’affecte pas les centrales, il rappelle l’importance d’entourer les installations littorales d’une protection adéquate en cas de phénomène naturel extrême. Car l’inondation des côtes – la submersion – est un risque majeur pour les centrales situées en bord de mer : Penly et Paluel (Seine-Maritime), Flamanville (Manche), Gravelines (Nord) et Le Blayais (Gironde).
La submersion est la conséquence d’une élévation du niveau de l’eau, elle-même provoquée par l’effet des dépressions ou des tsunamis qui déferlent sur le littoral et se cumulent avec les phénomènes de marées : de fortes houles et variations de pression atmosphérique, parfois amplifiées par la topographie du territoire, engendrent une montée des eaux. S’ensuit un cortège de risques : inondations, crues de fleuves, ruptures de berges… Les chercheurs de l’IRSN décryptent les aléas météorologiques extrêmes pour prévenir les risques et protéger les installations. 

La surcote à travers l’histoire

Les centrales de bord de mer ont fait l’objet, dès leur conception, d’une attention particulière : installées sur des plateformes surélevées, elles sont entourées de digues édifiées en front de mer et autour des sites. Le nombre, l’emplacement et la hauteur de ces ouvrages, de même que les murs des installations, sont fonction d’une valeur clé : la surcote, ou différence entre les hauteurs d’eau prédites et observées. Or, le protocole de calcul en vigueur depuis 1984 a été remis en question en 1999, après la tempête Martin. Associée à une forte marée et des conditions exceptionnelles de houle et de pression atmosphérique, elle a submergé une partie de la centrale du Blayais, induisant l’affaiblissement du niveau de sûreté de deux des quatre réacteurs1. « Nous étions proches de la surcote millénale, qui a une chance sur mille de se produire chaque année, souligne Claire-Marie Duluc, chercheuse au Bureau d’expertise hydrogéologique et sur les risques d’inondation et géotechniques (Behrig) à l’IRSN. Nous avons compris que le modèle statistique utilisé jusqu’alors pour calculer les surcotes n’était pas adapté. » 
L’Institut développe, en parallèle de l’exploitant, ses propres calculs pour déterminer le degré de protection des centrales. Des données historiques sont prises en compte en plus de celles sur le niveau marin fournies par les marégraphes – instruments mesurant la hauteur de la mer – du Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom). En 2015, les chercheurs du Behrig ont estimé les niveaux marins extrêmes à La Rochelle (Charente-Maritime) à partir de données des XIXe et XXe siècles. « Intégrer des informations historiques aux études statistiques ouvre la possibilité de prendre en compte davantage d’événements exceptionnels, donc d’améliorer leur représentativité dans l’échantillon des valeurs extrêmes », précise Yasser Hamdi, chercheur en hydrologie et statistique.
Lorsqu’ils vérifient que les dispositions retenues sont suffisantes pour protéger les installations, les chercheurs gagnent en robustesse et en fiabilité. Pour améliorer la solidité statistique, le contexte régional est pris en compte. Nathalie Giloy, chercheuse en environnement littoral, complète : « Nous veillons à recueillir des données antérieures à l’installation des marégraphes dans les années 1950. » Pour la centrale de Gravelines, elle a fouillé dans l’histoire hydrométéorologique de Dunkerque (voir infographie), conduisant à une réévaluation de la surcote extrême. 

Des informations historiques sur 784 tempêtes

Après de nombreux échanges, l’IRSN et EDF se sont accordés sur un nouveau mode de calcul des surcotes extrêmes qui tient compte du degré de fiabilité des sources historiques exploitées. Cette méthodologie est utilisée à l’occasion du réexamen de sûreté des quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MWe, dont les conclusions de l’Institut sont rendues en février.
Au fil de ses recherches, Nathalie Giloy amasse des informations sur 784 événements. Elle les intégre dans une base de données, « Tempêtes et submersions historiques », accessible à tous (voir la vidéo ci-après). Un groupe de travail est créé pour mutualiser ces données et les analyser. Il est composé de représentants du Shom, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), d’EDF, du bureau d’études d’ingénierie Artelia et d’un historien.
En mars 2019, lors des Journées Refmar2, grand rendez-vous des spécialistes de l’observation du niveau de la mer, Nathalie Giloy présente les nouvelles productions du groupe : des fiches tempêtes, qui détaillent la reconstruction de niveaux marins historiques réalisée en différentes localisations. Ces fiches améliorent la connaissance des humeurs du ciel et de la mer et, in fine, renforcent la sûreté nucléaire. 

1. « Inondations à la centrale du Blayais suite à la tempête de 1999 », Repères n°26, irsn.fr/R26

2. Refmar : réseau de référence des observations marégraphiques.

VIDÉO - Tempêtes : comment les données plubliques sont-elles mises à disposition ?

Tempêtes : comment les données publiques sont-elles mises à disposition ?

Pour en savoir plus

Pour consulter la base de données « Tempêtes et submersions historiques », télécharger l’application après demande d’adhésion : www.irsn.fr/bdts

Guide ASN, « Protection des installations nucléaires de base contre les inondations externes », https://www.asn.fr/l-asn-reglemente/guides-de-l-asn

Rapport IRSN sur L’aléa inondation, www.irsn.fr/alea-inondation


3 QUESTIONS À… Nicolas Pouvreau, Shom

Nicolas Pouvreau, expert en niveau de la mer au Service hydrograpique et océanographique de la Marine (Shom) - © N. Pouvreau

Pourquoi avez-vous participé au groupe de travail « Tempêtes et submersions historiques » ?

L’observation des événements passés est essentielle pour appréhender l’évolution des tempêtes. Ces dernières années, les échanges entre institutions et industriels se sont renforcés. En participant à ce groupe de travail, nous mutualisons les données. Nous effectuons une tâche de bénédictins, à chercher, digitaliser et contrôler les observations du passé : autant en faire profiter la communauté.

Quel est votre apport ? 

Une vision transversale. Nous maîtrisons les instruments, méthodes d’observation – de l’oeil nu aux capteurs numériques – et protocoles de calcul utilisés pour les prédictions de marées au fil des siècles. Pour reconstruire des séries marégraphiques, nous récoltons des informations utiles sur le passé. À Brest (Finistère) par exemple, nous avons compris que l’évolution du niveau de la mer n’est pas constante car elle est affectée par des variations interannuelles.

Quels enseignements tirez-vous de ces travaux ?

Nous étudions le niveau de la mer, et le groupe de travail s’occupe des tempêtes. Nous amassons des données complémentaires qui améliorent nos outils statistiques comme « Niveaux marins extrêmes ». Nous en tirons des périodes de retour, c’est-à-dire le temps statistique entre deux événements connaissant des hauteurs d’eau similaires.
 


AILLEURS - Quatre zones littorales exposées sont identifiées au Royaume-Uni

Site Internet de Surgewatch, base de données publique sur les tempêtes et submersions marines
Site Internet de Surgewatch, base de données publique sur les tempêtes et submersions marines - © 2014-2019 University of Southampton

Outre-Manche, la submersion représente un risque majeur pour la population et les infrastructures. Le registre national des risques1 le place en deuxième position derrière la pandémie. Pourtant, « peu de données sont disponibles sur le sujet, en particulier les événements anciens, et les inondations ne sont pas systématiquement documentées », explique Ivan Haigh, chercheur au Centre d’océanographie national de l’Université de Southampton. En 2015 au Royaume-Uni, il crée Surgewatch, une base de données publique sur les tempêtes et submersions marines. Elle documente le nombre de personnes touchées, d’animaux morts, de maisons et infrastructures détruites... Les informations sont issues de recherches bibliographiques, visites sur le terrain et témoignages. « D’abord, nous nous sommes intéressés aux événements depuis 1915. Désormais, nous remontons deux mille ans en arrière ! » Ces travaux ont permis d’identifier quatre zones littorales particulièrement exposées et les types de tempêtes les plus dommageables. Surgewatch contribue à la définition des actions de prévention des risques côtiers par les autorités britanniques.

1. National Risks Register of Civil Emergencies.


INFOGRAPHIE - Gravelines : une recherche historique pour actualiser la sûreté de la centrale

Une enquête multidisciplinaire sur les tempêtes sirvenues dans le passé dans la région de Dunkerque conduit à réévaluer la protection de la centrale de Gravelines (Nord).

© A. Dagan/Citizen Press/Médiathèque IRSN/Magazine Repères/ © La voix du Nord, © Sud-Ouest, © SHOM et BnF

Article publié en juin 2019