Incident à Golfech, une analyse approfondie

Que s’est-il passé lors de l’incident survenu à la centrale nucléaire de Golfech le 8 octobre 2019 ? L’Institut réalise une expertise technique et une analyse des facteurs organisationnels et humains. Ce travail conduit à des recommandations et des engagements de la part de l’exploitant : analyses, contrôles, surveillance... 

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Les différents paramètres de la vidange du circuit primaire sont suivis depuis la salle de commande - © EDF Golfech

Tout commence par un oubli. L’évent du pressuriseur devait être ouvert ; il reste fermé. Nous sommes le 8 octobre 2019. L’incident se produit lors d’une opération de vidange du circuit primaire d’un réacteur de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne). Il est classé de niveau 2 sur l’échelle Ines1. Que s’est-il passé ? Quelles sont les leçons tirées ? 
Ce jour-là, le réacteur 2 est à l’arrêt pour cause d’opération périodique de renouvellement d’une partie du combustible. Pour effectuer le déchargement du cœur puis son rechargement, le circuit primaire principal (CPP) doit être vidangé. Le niveau d’eau dans le circuit doit être maîtrisé, il ne doit surtout pas trop baisser. Dans le cas contraire, cela pourrait conduire à la perte des moyens de refroidissement du combustible, entraîner son endommagement et des rejets radioactifs dans l’atmosphère. Pour contrôler la vidange, un évent situé sur le CPP doit être ouvert, afin que la procédure s’effectue à pression atmosphérique.

L’absence d’ouverture n’est pas détectée

Le 8 octobre, l’activité de vidange du CPP est préparée. Mais l’équipe de conduite ne s’aperçoit pas que l’évent est laissé en position fermée et l’opération est engagée. La vidange du CPP – fermé et étanche – entraîne sa mise sous vide : la pression dans le circuit devient inférieure à la pression atmosphérique. 
De nombreuses difficultés s’enchaînent pour les opérateurs, du fait notamment d’une erreur de configuration d’un capteur de niveau d’eau dans la cuve. Aucune des dispositions de maîtrise des risques, qu’elles soient humaines, organisationnelles ou techniques, comme le suivi des paramètres de la vidange – niveau d’eau dans le CPP, volumes vidangés, etc. –, ne permet de repérer l’anomalie et d’empêcher cette mise sous vide pendant plusieurs heures. Le problème enfin décelé, le rétablissement de la situation est long et chaotique, avec des mouvements d’eau importants. 
L’analyse approfondie de l’évènement mobilise, pendant plus d’un an, une demi-douzaine d’experts de l’IRSN de différents domaines. Johann Deyris, ingénieur en sûreté des réacteurs à eau sous pression, examine la procédure de vidange, qui a évolué ces dernières années, et recherche les évènements similaires survenus sur le parc électronucléaire français. Guillaume Larrignon et Cécile Deust, experts en conduite incidentelle et accidentelle, analysent la capacité de l’équipe de conduite à gérer la dégradation de la situation. Ils apportent un support sur la compréhension des phénomènes physiques (voir infographie ci-contre). En parallèle, Laure Rondeaux et Marie Leschaeve prennent en compte dans leur analyse de l’évènement l’ensemble des dimensions humaines, organisationnelles et techniques. Ces deux spécialistes des facteurs organisationnels et humains (FOH) cherchent à mieux appréhender son contexte sociotechnique. En complément d’une analyse documentaire, cette démarche s’appuie sur vingt-cinq entretiens recueillis au cours d’une centaine d’heures passées auprès d’agents EDF du site et des services centraux. 
Elle met en évidence plusieurs facteurs ayant conduit à cet incident sérieux. À la base, il y a l’insuffisance de l’analyse de risque induite par l’évolution de la procédure de vidange. À cela s’ajoutent la déclinaison tardive et partielle d’une procédure nationale concernant cette opération et la réorganisation de la structure des équipes de conduite, engagée pour tenir compte du renouvellement massif des compétences chez l’exploitant. 

Le recueil des données

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Les salariés d’EDF sont formés sur un simulateur de pilotage, réplique à l’identique de la salle des commandes des réacteurs. - © Romain Beaumont/EDF

La réalisation d’entretiens est une méthode de collecte nécessaire pour rassembler un maximum d’informations sur le contexte. Certains renseignements peuvent avoir un lien causal avec la fiabilité de l’activité, même s’ils se situent très en amont de l’évènement lui-même : management, climat social, préparation insuffisante des acteurs... 
Les entretiens confrontent la vision théorique de l’organisation du travail avec les contraintes réelles. L’objectif est d’avoir une compréhension globale des facteurs expliquant la survenue de l’incident. Grâce à cette analyse pluridisciplinaire, les experts passent de ses causes apparentes – immédiatement visibles – à ses causes profondes. 
Ils tirent des enseignements pour faire progresser la sûreté du parc français.

Des leçons sont tirées

À la suite de l’expertise de l’IRSN, la direction d’EDF et la centrale de Golfech s’engagent à mettre en œuvre diverses actions techniques et organisationnelles pour fiabiliser les transitoires2 dits sensibles3, notamment ceux de vidange du CPP. 
L’un de ces engagements, accompli fin 2021, consiste à mener une analyse empirique sur un grand nombre de vidanges. Objectif : préciser l’évolution attendue du niveau d’eau dans la cuve – dit niveau cuve – lors d’une vidange normale. Il s’agit de déterminer le critère d’identification d’une vidange sous vide. 
Les services centraux de l’industriel s’engagent aussi à renforcer la surveillance du niveau cuve lors de chaque vidange. Ceci fiabilise la valeur de ce niveau, sur laquelle sont basées des parades essentielles au risque de découvrement du cœur. Parmi ces parades, les ordres d’injection de sécurité permettent d’injecter rapidement de grandes quantités d’eau dans le circuit primaire pour compenser une baisse trop brutale de niveau. Localement, l’exploitant de Golfech prévoit de mettre en œuvre un contrôle technique afin de garantir – avant le démarrage de la vidange du CPP – la disponibilité du capteur de niveau cuve pour détecter rapidement une éventuelle mise sous vide. Cette mesure est appliquée avec succès depuis l’arrêt de tranche de mai 2021. 
L’IRSN propose d’aller plus loin. Il recommande de renforcer des échanges entre les services centraux d’EDF et les sites, comme de mettre à jour la documentation sur certaines activités dites sensibles, comme la vidange du CPP. L’analyse approfondie et multidisciplinaire de l’Institut sur cet incident vise à fiabiliser la vidange du CPP. 

 

1. Échelle internationale des évènements nucléaires et radiologiques (International Nuclear Event Scale).
2. Variation de certains paramètres physiques intervenant entre deux régimes de fonctionnement stationnaires d’une installation
3. Dit pour un transitoire quand un paramètre représentatif d’une fonction de sûreté varie de manière significative au cours de ce transitoire, que le dépassement des limites prévues a des conséquences importantes pour la sûreté et que les lignes de défense pour maintenir l’installation dans un domaine d’exploitation sont humaines


3 QUESTIONS À… Lise Palacios, Experte fonctionnement et conduite à l’Unité nationale d’ingénierie d’exploitation, EDF

Quelle est l’origine principale de l’incident de Golfech ? 

L’évènement du 2019 montre un défaut de culture de sûreté. Plusieurs lignes de défense – attitude interrogative, gestion d’un fortuit, prise de décision – n’ont pas fonctionné, d’où son classement au niveau 2 de l’échelle Ines. Il nous interpelle sur les fonctionnements organisationnels et humains (FOH), autant que techniques.

Sur quoi EDF a-t-elle travaillé depuis ? 

Plusieurs organisations et comportements sont réaffirmés. Les opérateurs doivent adhérer totalement aux procédures. En cas d’interruption inopinée d’une activité sensible, telle la manipulation de vannes – l’opérateur est interpellé, il s’arrête... –, une minute de pause pour se reconcentrer est instituée pour fiabiliser le processus. L’analyse de l’organisation des équipes de conduite a montré qu’il faut clarifier les rôles et les responsabilités. Notre analyse FOH a tiré de nombreuses leçons de cet évènement... mais seulement mi-2020. Ce délai nous incite à améliorer l’efficacité de notre retour d’expérience. 

Quelles sont les suites ? 

Nous avons analysé deux cents vidanges du circuit primaire afin de mieux comprendre et maîtriser le transitoire. Il en résulte un nouveau guide, sorti en 2022. La transmission de ces connaissances approfondies est engagée vers les formateurs et les équipes opérationnelles. Avec les formations de recyclage annuelles, ce savoir va diffuser à tous les opérationnels et se pérenniser. C’est capital pour combattre l’érosion des compétences. Notre étude technique sera partagée avec l’Institut et l’Autorité de sûreté nucléaire. 


AILLEURS - Les déclarations à l’international

À la suite de l’évènement survenu en 2019 à la centrale de Golfech, (Tam-et-Garonne) l’IRSN choisit de faire une déclaration à la base de données internationale IRS (International Reporting System). Il présente à tous les membres de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) les enseignements tirés pour le reste du parc nucléaire français.  

L’objectif est de sensibiliser les homologues étrangers aux causes profondes de l’incident, d’identifier les enseignements transposables sur leurs réacteurs et de déployer des actions correctives, afin qu’un événement similaire ne se produise pas. Des échanges ont lieu avec d’autres instances internationales, comme le groupe de travail sur le retour d’expérience d’exploitation de l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). La France est l’un des trente-sept États membres contribuant à la base IRS. L’Institut sélectionne les événements – une dizaine par an – jugés les plus enrichissants.


INFOGRAPHIE - Incident de Golfech : le simulateur SOFIA

En 2019, un incident affecte la vidange d'un réacteur de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne). Les experts s'appuient sur un  simulateur pour comprendre l'évènement et repérer les facteurs techniques, humains et organisationnels en cause.


Article publié en avril 2022