Mieux protéger les installations nucléaires après Fukushima

Risques extrêmes. À la suite de la catastrophe de Fukushima, une réévaluation de la résistance des installations nucléaires françaises aux événements naturels extrêmes a été réalisée. Forces d’intervention rapide, centres de crise, noyau dur… Retour sur des évolutions mises en place.

Visite par les experts de l’Institut du local “noyau dur” du réacteur à haut flux (RHF) de l’Institut Laue-Langevin (ILL) à Grenoble (Isère)
Visite par les experts de l’Institut du local “noyau dur” du réacteur à haut flux (RHF) de l’Institut Laue-Langevin (ILL) à Grenoble (Isère). - © Jean-Marie HURON/SIGNATURES/IRSN

Et si des événements naturels extrêmes affectaient une installation nucléaire ? C’est la question posée par les pouvoirs publics français après la catastrophe de Fukushima, en 2011. Un “plan d’actions post-Fukushima” s’est mis en place, avec le déploiement d’un “noyau dur” dans les sites. Proposé par l’IRSN, ce concept vise à doter chaque installation d’équipements “ultimes”, capables de résister à des événements exceptionnels. Objectif : éviter des rejets massifs et des effets durables dans l’environnement en cas d’accident – telle une fusion du cœur d’un réacteur.

Alimentation en eau et en électricité

L’un des principaux exploitants concernés est EDF, avec ses 58 réacteurs, répartis sur 19 sites (lire encadré "3 questions à... Philippe Coïc" ci-dessous). Parmi les dispositions post-Fukushima réalisées, la Force d’action rapide nucléaire (Farn) figure en bonne place. “Elle peut intervenir sur les centrales en moins de 24 heures et sur les six réacteurs du site de Gravelines (Nord), explique Laurent Mercier, directeur adjoint de la Farn chez EDF. Avec des moyens humains et matériels d’intervention et de réalimenta­tion, sa mission est de rétablir des éléments qui ont manqué à Fukushima : l’alimentation en électricité et en eau.”
Pour l’alimentation électrique, un Diesel d’ultime secours (DUS) de 3 MW sera installé sur chaque réacteur d’ici à fin 2018. Le premier chantier a été lancé en 2015 pour le réacteur n° 3 de la centrale de Cattenom (Moselle).
Il s’agit de construire un véritable bunker d’ici à fin 2016, au plus près des installations existantes. De 24 mètres de haut pour 12 de long et 6 de large, ce bâtiment en béton armé est conçu pour résister à un séisme extrême. Pour parer aux risques d’inondation, il est en outre surélevé. La toiture est dotée d’une ossature capable de résister aux projectiles que pourraient véhiculer des vents extrêmes.

Évaluer la suffisance des moyens ultimes envisagés

Le bâtiment de gestion de crise de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme) est en cours de construction.
Le bâtiment de gestion de crise de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme) est en cours de construction. - © Areva/Tricatin

“L’IRSN évalue la conception de ce nouvel équipement et sa capacité à remplir ses fonctions, explique Patrick Lejuste, qui suit le déploiement des “noyaux durs” pour les réacteurs d’EDF. Nous étudions sa suffisance : la puissance maximale du générateur Diesel permet-elle d’alimenter simultanément tous les équipements ultimes ? Nos experts examinent les propositions de l’opérateur pour la caractérisation des aléas dits extrêmes et les niveaux à retenir, en tenant compte des spécificités géologiques et géographiques de chaque site. Puis ils apprécient les moyens ultimes envisagés pour empêcher ou réduire les conséquences d’un accident.”
Les principales installations du cycle du combustible sont aussi concernées, comme les usines d’Areva au Tricastin (Drôme et Vaucluse), où a démarré la construction de bâtiments de gestion de crise qui devraient être opérationnels fin 2016. Les “Bloc logistique” et “Bloc vie” sont terminés et le “Bloc commandement” est en cours de réalisation.
De tels abris, situés à l’intérieur des sites, seront construits à La Hague (Manche), Mélox (Gard) et Romans-sur-Isère (Drôme).
“Des avis sont rendus sur la conception des bâtiments. Les experts examinent la résistance aux événements redoutés. Ils ont recommandé une meilleure prise en compte des effets liés à une tornade et le renforcement des filtrations du réseau de ventilation du poste de commandement de crise”, résume Michel Guillard, en charge du dossier à l’Institut.

48 heures d’autonomie

Interventions sur les lignes électriques à Fukushima-Daiichi , le 18 mars 2011.
Interventions sur les lignes électriques à Fukushima-Daiichi , le 18 mars 2011. - © TEPCO

Le centre névralgique du bâtiment de gestion de crise sera constitué d’un “Bloc de commandement” surélevé d’un mètre et confiné pour empêcher toute intrusion de gaz toxique induit par les substances radioactives et chimiques utilisées sur le site.
Son rez-de-chaussée contiendra les réseaux d’utilités dimensionnés aux aléas extrêmes : un groupe électrogène capable de fonctionner au moins 48 heures en continu, une cuve de 5 mètres cubes d’eau potable, etc. Des ressources nécessaires pour les équipes de crise présentes à l’étage, soit jusqu’à 40 personnes en autonomie pendant 48 heures. Le temps qu’arrivent les renforts de la Force d’intervention nationale d’Areva (Fina).
“Composée d’environ 200 employés volontaires de l’opérateur et de divers équipements, la Fina pourra apporter son soutien en 48 heures sur tous nos sites”, explique Daniel Chanson, directeur de la gestion de crise d’Areva. Elle compte un vivier de 500 volontaires, l’objectif étant d’en atteindre 1 000 en 2017.
Troisième catégorie d’installations devant déployer un noyau dur : les réacteurs de recherche disposant d’un potentiel de danger important, comme le réacteur à haut flux (RHF) grenoblois, en Isère, exploité par l’Institut Laue-Langevin (ILL) et implanté dans une zone à forts risques sismiques et d’inondation.

Faire face à des gaz toxiques ou explosifs

Quatre barrages sont situés en amont du RHF sur le Drac, affluent de l’Isère. Un séisme extrême pourrait provoquer une onde de submersion de six mètres sur le site du réacteur. Dès 2012, l’ILL a engagé la construction d’un nouveau poste de contrôle et de secours “bunkerisé”, partie intégrante du noyau dur du RHF. Le bâtiment peut faire face à un séisme extrême, à une inondation et aux effets secondaires tels qu’une dérive de gaz toxiques ou explosifs qui proviendrait des zones industrielles environnantes. Les équipes pourront communiquer avec l’extérieur et piloter les systèmes du noyau dur (voir l'infographie).
”L’IRSN a fait modifier des éléments : enterrement de câbles à 5 mètres de profondeur pour qu’ils ne soient pas emportés par une inondation extrême, prise en compte des risques liés à l’environnement industriel…”, indique Emmanuel Grolleau, expert au sein du service en charge de la sûreté des installations de recherche à l’Institut. Le noyau dur du RHF devrait être opérationnel au milieu de l’année 2016.

Pour en savoir plus

Rapport de l’IRSN sur la définition d’un “noyau dur post-Fukushima” pour les centrales nucléaires françaises www.irsn.fr/rapport-ND.

Articles sur le noyau dur, www.irsn.fr/noyau-dur 


3 QUESTIONS À… Philippe Coïc, EDF

Philippe Coïc, responsable de la stratégie de déploiement des modifications “post-Fukushima” chez EDF
Philippe Coïc, responsable de la stratégie de déploiement des modifications “post-Fukushima” chez EDF - © EDF/Mathieu Colin

Quels changements EDF a-t-il opérés ?

Jusqu’en 2015, nous avons déployé de nouveaux moyens mobiles ou préliminaires de secours. Nous avons renforcé les dispositions de gestion de crise, notamment avec la mise en place d’une Force d’action rapide nucléaire (Farn).

Quelles sont les prochaines étapes ?

Pour chacun de nos 58 réacteurs, nous aurons construit d’ici à fin 2018 un Diesel d’ultime secours pour renforcer l’alimentation électrique interne et, d’ici à fin 2021, un dispositif d’appoint en eau pour chacun des 58 réacteurs. À ces horizons, le déploiement du centre de crise “bunkerisé” propre à chaque site aura été engagé. À partir de 2019, au rythme des visites décennales, seront installées les dispositions complémentaires du noyau dur. C’est le cas du dispositif de prévention de fusion du cœur par refroidissement, qui utilise les générateurs de vapeur, en priorité pour les centrales de 900 MW.

Cela implique-t-il de nouveaux défis ?

Mener de front tous ces chantiers constitue d’énormes défis humains, matériels et organisationnels. Ils s’ajoutent aux réexamens de sûreté décennaux et aux opérations de maintenance lourde, telles que le remplacement de générateurs de vapeur. Le défi est aussi financier, avec un coût des modifications post-Fukushima estimé à 10 milliards d’euros.


AILLEURS - Une centrale ukrainienne renforcée à la suite de Fukushima

La centrale Ukraine du Sud a déployé des mesures post-Fukushima
La centrale Ukraine du Sud a déployé des mesures post-Fukushima - © South-Ukraine NPP

Historiquement marquée par l’accident de Tchernobyl, l’Ukraine a tiré les enseignements de la catastrophe japonaise. L’unité n° 1 de la centrale Ukraine du Sud, basée à environ 350 km au sud de Kiev, est une installation pilote pour le déploiement des mesures post-Fukushima. L’alimentation électrique d’urgence destinée aux équipements essentiels de sûreté – comme les soupapes de sécurité – a été renforcée par l’ajout d’un groupe électrogène mobile à moteur Diesel de 0,4 kV. Deux stations de pompage mobiles supplémentaires sont prévues, pour assurer l’évacuation de la puissance résiduelle du cœur via les générateurs de vapeur.
Des procédures ont été développées pour l’utilisation de ces équipements supplémentaires par les équipes d’urgence. En cas d’événement extrême – séisme, inondation – , une attention a été accordée aux lieux de stockage  des équipements mobiles et aux routes d’accès aux points de connexion de ces derniers. Enfin, des exercices ont été organisés pour entraîner le personnel au déploiement des équipements.


INFOGRAPHIE - ILL de Grenoble : de nouveaux dispositifs pour 2016

Pour faire face à d’éventuels événements naturels extrêmes, l’Institut Laue-Langevin (ILL) de Grenoble, en Isère, a apporté des modifications à son réacteur, en le dotant de nouveaux systèmes répartis en trois niveaux de défense en profondeur : prévention, limitation des conséquences, gestion de crise.

L’infographie montre que pour faire face à d’éventuels événements naturels extrêmes, l’Institut Laue-Langevin (ILL) de Grenoble, en Isère, a apporté des modifications à son réacteur, en le dotant de nouveaux systèmes répartis en trois niveaux de défense e
ILL de Grenoble : de nouveaux dispositifs pour 2016 - © Antoine Dagan / Spécifique / IRSN - Source IRSN

Article publié en février 2016