Matières radioactives : comment maîtriser les risques lors du transport ?
Pour assurer le bon acheminement des matières nucléaires, une unité de l’IRSN veille au grain : l’Échelon opérationnel des transports (EOT). Il gère le transport de ces matières, assure le suivi en temps réel et la logistique sur l’ensemble du trajet. Explications.
De simples bureaux dressés en face de quatre écrans. Voilà la salle principale d’action. Là, et dans une salle informatique attenante, deux équipes composées de cinq techniciens et d’une secrétaire se succèdent par roulement de huit heures pour assurer le fonctionnement de l’Échelon opérationnel des transports (EOT) de 5h30 à 21h15. Leur mission : gérer les demandes d’accord d’exécution des transports, assurer leur suivi et transmettre les alertes aux autorités1. « Ce métier nécessite une vigilance extrême, de la résistance au stress, des connaissances réglementaires, informatiques, mécaniques et de sécurité, explique Vincent Dupont, chef de quart à l’EOT. Nous suivons toute la matière servant au cycle du combustible, des concentrés uranifères venant des mines africaines, canadiennes et russes, jusqu’aux produits finaux et aux déchets. » L’équipe veille au transport des minerais, hexafluorure d’uranium, plutonium, combustible neuf ou irradié. « Cela représente entre 1 500 et 2 000 trajets par an. »
En amont, vérifier la conformité des demandes et étudier le parcours
L’instruction du dossier établi par le transporteur comprend des vérifications multiples. « La désignation du prestataire autorisé et la référence de l’autorisation, le mode d’acheminement, son itinéraire, sa durée, les lieux de rupture de charge et les opérations de transbordement » intéressent l’EOT. Il y a aussi « la nature et les masses de matières, le colis utilisé, le type, la référence et la date d’expiration de l’agrément », énumère Vincent Dupont. Des inspections sont réalisées en cours de transport pour s’assurer du respect de la réglementation, par exemple la mise en place de mesures contre les actes de malveillance. « Une fois la conformité du dossier contrôlée, nous vérifions que le convoi peut partir. La météo doit être favorable – pas de verglas – et les routes praticables. Il ne doit pas y avoir de manifestations sur le parcours. » L’EOT est en relation avec le Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (CoSSeN), qui analyse les trajets via des données de police. « Si une manifestation est prévue, le transport n’a pas lieu ou devra passer par un autre itinéraire. » Cette entité est en contact direct avec d’autres services – la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et de la police nationale (DGPN), les services du haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère chargé de l’énergie, etc. – afin d’alerter rapidement en cas d’acte de malveillance.
Un suivi opérationnel pendant le trajet
« Les transports les plus sensibles2 sont suivis de bout en bout et le cas échéant escortés », indique l’expert. Ils sont tenus d’emprunter des itinéraires approuvés. Les transports internationaux – livrant des centrales françaises ou transitant par l’Hexagone – sont aussi suivis « dès lors qu’ils franchissent la frontière ». Les matières moins sensibles3 font l’objet d’un suivi régulier. « Le chauffeur doit nous contacter à chaque arrêt pour se reposer en lieu sûr – les transports pouvant durer deux à trois jours sur le territoire français – ou lors d’un bouchon, précise le chef de quart. Nous détectons s’il s’agit d’un problème sérieux ou non. Nous prenons des décisions, en concertation avec les forces de l’ordre, sur le changement éventuel de parcours. » Pour répondre aux problèmes rencontrés en dehors des heures d’ouverture de l’EOT, il y a des astreintes le soir et en fin de semaine. Vincent Dupont se souvient : « Une nuit, nous recevons l’appel d’un chauffeur allemand. Il est 2 heures du matin. Il crie “transport kaputt, transport kaputt”. Nous prenons des dispositions comme si le problème était maximal. Il ne s’agit en fait que d’un léger accident avec un véhicule sur une aire d’autoroute… Le clignotant est cassé. »
Anticiper un accident éventuel
Le règlement sur le vol et le détournement de matières nucléaires existe depuis la loi du 25 juillet 1980. Des exercices de crise en situation réelle se déroulent régulièrement pour mettre à jour les procédures et s’entraîner. La préparation du transport joue pour beaucoup. « Sur les trajets sensibles et pour des raisons de sécurité, seul un petit nombre de personnes est au courant » précise l’expert.
Les usagers attendent informations et connaissances
Près de l’installation nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire), Michel Fiszbin, ingénieur chimiste à la retraite, s’inquiète des allées et venues de transporteurs : « Il y a quatre réacteurs en activité, trois en démantèlement, un atelier des matériaux irradiés et un magasin de combustible inter-régional », précise-t-il. Engagé depuis 2005 dans un collectif environnemental, il milite pour davantage de transparence sur « l’ampleur, la spécification et l’organisation des volumes transportés ». Partisan d’une « meilleure information des citoyens avoisinant la centrale », il souhaiterait avoir « un bilan exhaustif de l’activité des déchets et des transports autour de l’installation, et un prévisionnel sur les années à venir ». Grâce à un séminaire de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli) en 2016, il a obtenu des éclaircissements. Il aimerait que « les réunions annuelles de sa commission locale soient plus fréquentes et complétées par des newsletters régulières ».
1. La réglementation sur la protection et le contrôle des matières nucléaires, de leurs installations et de leur transport (PCMNIT) relève pour l’essentiel du Code de la défense et s’applique uniquement à certaines matières nucléaires : plutonium, uranium, thorium, deutérium, tritium et lithium 6.
2. Catégorie 1 – plutonium, uranium hautement enrichi en uranium 235 et combustibles MOX – et catégorie 2 – matières fissiles transportées en faible quantité, combustibles usés (UO2 et MOX), déchets vitrifiés et déchets compactés.
3. Catégorie 3 – toutes les matières nucléaires de l’amont du cycle.
Portrait d’expert - Sécurité des transports : un expert raconte son quotidien
Conducteurs routiers : une formation certifiante
Pour transporter des matières dangereuses, les conducteurs routiers doivent suivre une formation initiale ADR1, avec une spécialisation de classe 7 pour les matières radioactives. En France, elle est dispensée par Form-Edit et l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN). Fabien Del Signore, formateur à l’INSTN, détaille le programme : « La formation de trois jours porte sur la radioactivité et la radioprotection. Nous abordons la réglementation, l’arrimage des charges, la signalisation des véhicules, la malveillance… » Les conducteurs sont initiés à l’utilisation d’appareils de mesure. Des répétitions ont lieu pour assimiler les dispositions à prendre en cas d’accident : balisage, alerte des autorités, éloignement du public… L’examen certifiant est valide cinq ans. Les conducteurs portent un dosimètre et sont suivis médicalement. « Ils sont très vigilants dans leur conduite, appuie Jean-Michel Mure, chef du bureau des transports au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Cadarache (Bouches-du-Rhône). Ils ont une culture de la sûreté. Ils sont habitués aux procédures – conduite à adopter en cas de stationnement, respect des délais fixés dans les préavis de transport etc. »
1. Accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par la route.
Retour d’expérience : le desserrage des vis des capots de colis
Entre 2011 et 2016, deux à trois incidents de ce type ont été signalés chaque année, alors qu’en 2018 et 2019, un seul événement par an a été constaté. La raison ? Des améliorations de sûreté mises en pratique à la suite des retours d’expérience. « Un constat de vis desserrées est fait au niveau des capots amortisseurs des colis de transport de combustibles irradiés », expliquent Thuy Nguyen et Arnaud Bouetard, chargés du suivi des activités de transport à l’IRSN. Or, si le capot est mal fixé, « on présume qu’il n’aura plus la fonction d’amortisseur en cas d’incident ». Plusieurs plans d’action sont mis en place pour réagir à ces défauts de conformités. L’ Autorité de sûreté nucléaire (ASN) instaure un groupe de travail fin 2012, avec l’IRSN et les exploitants des modèles de colis concernés, Orano et EDF. Une première partie théorique explique comment les vibrations subies pendant le trajet favorisent le desserrage des vis. S’ensuit une partie pratique : les industriels encadrent le processus de serrage, insistant sur l’ordre dans lequel il doit se faire, afin d’assurer une répartition homogène des efforts appliqués, et sur la nécessité d’un contrôle par deux opérateurs distincts. Les experts recommandent d’attendre que l’équilibre thermique s’établisse dans le colis, afin d’éviter la dilatation différentielle des vis par rapport au capot. Pour les modèles de colis concernés par les précédents incidents, les conditions de graissage des vis sont revues. Le couple de serrage des vis est augmenté, passant de 300 à 450 newton-mètres.
Article publié en avril 2020