Nucléaire : quelle place pour les questions citoyennes ?
Depuis plus de dix ans, un dialogue s’est instauré avec la société civile sur le nucléaire et la radioprotection. Permet-il la participation des citoyens et la prise en compte de leurs demandes ou est-ce une pluralité de façade ? Repères pose la question à quatre associations.
1. Les initiatives citoyennes sont-elles soutenues ?
Ancienne enseignante, Anita Villers, présidente de l’association Eda (Environnement et développement alternatif), s’associe dès les années 2000 à la démarche d’ouverture de l’IRSN à la société civile. Après avoir participé à plusieurs rencontres – dont une intitulée « Attirer l’attention sur les faibles doses » – elle décide d’organiser en 2013 une conférence sur ce thème. Destinée au personnel des hôpitaux et cliniques, « du brancardier au chirurgien », son objectif est de les sensibiliser et de proposer des formations.
« Porter cette parole sans être médecin ni scientifique était un défi », raconte-t-elle. La première édition est un succès. Elle réunit 200 personnes : étudiants, personnel médical, experts, etc. C’est un déclencheur.
« Nous avons mis en lumière le fait que les professionnels qui gravitaient autour des médecins – infirmiers, aides-soignants, etc. – n’étaient pas suffisamment formés sur les faibles doses et peut-être pas assez protégés. Il y a eu une prise de conscience », se souvient la militante. Plébiscité, l’événement aura lieu tous les deux ans jusqu’en 2019, avec la participation des experts de l’Institut. Les formations sur les faibles doses pour le personnel hospitalier se sont depuis multipliées sur le territoire. Voilà un exemple d'implication de la société qui se traduit par l'élaboration de projets citoyens.
2. Comment les demandes sont-elles prises en compte ?
En 2018, Greenpeace demande à accéder au rapport Impact Cycle*, réalisé par l’IRSN lors d’une expertise sur le fonctionnement du cycle du combustible nucléaire français. L’association constate qu’il est incomplet : certaines parties du rapport relatives aux activités d’EDF et d’Orano ont été omises par l’Institut, leur divulgation ayant été jugée susceptible de porter atteinte à la sûreté de l’État (art. L311-5). D’autres associations s’en émeuvent.
Une démarche est engagée auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). « L’IRSN publie une version plus complète du rapport. Nous avons accès à certaines des informations qui avaient été occultées, se souvient Patrick Maupin, responsable de Greenpeace à Bordeaux (Gironde). Une réussite qu’il juge relative en matière de transparence. « Le citoyen doit passer par une procédure longue et incertaine de saisine de la Cada », regrette-t-il. Presque tous les avis de l’IRSN sont aujourd’hui publics. Les questionnements de la société sont pris en compte dans les expertises et les concertations sur les sujets majeurs.
* Le rapport Impact Cycle 2016 www.irsn.fr/impact-cycle-2016
3. Quelle diffusion de l’expertise ?
Il y a deux ans, une concertation publique est lancée sur les conditions de sûreté de la poursuite de l’exploitation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de quarante ans. Lors du débat, les experts de l’Institut interviennent. « Ils apportent des nuances fines, tout en vulgarisant les connaissances, se souvient Isabelle Barthe, l’une des deux garantes de la concertation désignées par le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Lors d’une rencontre organisée par la Commission locale d’information [Cli] de Gravelines [Nord], je me souviens d’une intervention sur les enjeux du changement climatique pour le fonctionnement des centrales. L’expert était rigoureux, mais s’exprimait en langage non technique. Le public se sentait mis en confiance pour participer. » Igor Le Bars, expert en sûreté, souligne : « Nous donnons des informations pour que chacun puisse augmenter ses propres compétences.
4. Vers des citoyens sentinelles ?
Mariette Gerber, experte scientifique attachée à l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli), vit près de l’usine Orano de Malvési (Aude). Classée Installation nucléaire de base (INB), cette usine spécialisée dans la chimie de l’uranium suscite des tensions récurrentes. L’IRSN publie régulièrement des documents sur l’impact environnemental du site, consultables sur irsn.fr. Vigilante, Mariette Gerber suit leur diffusion. « L’Institut produit un rapport en 2017. Il recommande à Orano de réaliser des études complémentaires sur les déchets de fabrication du tétrafluorure d’uranium, rappelle-t-elle. Mais l’industriel ne suit pas cette recommandation. Dans les débats – en présence d’Orano ou d’associations – j’évoque ce rapport. » Elle conclut : « L’ouverture à la société doit changer la vision des citoyens sur l’industrie nucléaire, pour qu’elle n'apparaisse plus comme lointaine et coupée de la population. »
5. Quelles questions sont posées ?
En 2017, l’Institut rencontre la Cli de Civaux (Vienne) sur le sujet des générateurs de vapeur de la centrale. Leur acier présente une anomalie de concentration en carbone. « À l’époque, j’intégre le groupe d’ouverture à la société civile. Les réunions sont l’occasion de poser des questions et d’entamer un travail de recherche, observe Jacques Terracher, membre de cette commission. Dans ce processus, la société n’est pas seulement là pour écouter. Elle apporte aussi des informations et une analyse. » Et le militant antinucléaire d’illustrer ses propos : « En alternative au projet Cigéo de Bure, Bernard Laponche* propose de stocker à sec en subsurface le combustible usé, comme cela est fait aux États-Unis par Orano. »
Même si, selon lui, le dialogue n’est pas toujours fructueux, « l’ouverture à la société apporte l’espoir que les questions et problèmes des citoyens soient pris en compte sérieusement ».
* Physicien nucléaire, consultant international dans les domaines de l'énergie.
Pour en savoir plus
Environnement Développement Alternatif - EDA
https://eda-lille.org/
Article publié en juillet 2020