Surveillance de l’environnement : mieux impliquer la société civile

Un comité conseille désormais l’IRSN sur de nouvelles pratiques d’ouverture à la société. À la suite de la publication d’un premier avis1 sur la surveillance radiologique de l’environnement, plusieurs de ses membres illustrent, à travers des exemples concrets, cinq de ses recommandations.

Deux techniciens chargés des prélèvements alimentaires expliquent le principe de l’Etude radiologique de site (ERS) à une famille de maraîchers à Saint-Alban-du-Rhône (Isère). - © Célia Goumard/Médiathèque IRSN

1. Aller chercher les personnes sur leurs lieux de vie

Créer du lien avec les habitants sur leurs lieux de vie et entamer un dialogue avec eux, c’est déjà ce que fait l’IRSN depuis plus de vingt ans. Pourtant, si la vingtaine de membres du comité Odiscé (Ouverture et impulsion du dialogue avec la société civile sur l’expertise) travaillent sur ce sujet depuis janvier 2022, c’est pour donner une nouvelle impulsion et renforcer l’expertise de l’Institut par l’implication des habitants. L’objectif est de faire participer les citoyens à la surveillance radiologique de l’environnement effectuée par l’Institut. Auparavant, cette ouverture concernait plutôt des études ponctuelles, comme l’étude radiologique de site (ERS) de Saint-Alban (Isère), par exemple. En intégrant désormais des citoyens à la surveillance régulière, l’IRSN va passer à une démarche sur la durée.
Une première action expérimentale débutera vers le printemps 2024 autour du site nucléaire de La Hague (Manche). L’objectif est de créer un lien étroit avec des citoyens sur place : ils pourraient, après une courte formation, faire des prélèvements de denrées alimentaires et les envoyer à l’Institut pour analyse. À terme, ils deviendraient des « citoyens-préleveurs ». Un partenariat aux multiples vertus, comme le confirme Isabelle Barthe, garante de la CNDP (Commission nationale du débat public) et membre du comité Odiscé : « Les habitants ont souvent une fine connaissance de leur territoire. En les associant aux travaux de recherche et en les reconnaissant comme experts, ils développent un intérêt accru pour la démarche et peuvent devenir des ambassadeurs de cette surveillance ».

2. Dialoguer avec les publics jeunes

Sur le Salon de l’Éducation, Evelyne Allain de l'Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l’environnement (Iffo-RME) sensibilise les jeunes à la prévention du risque radiologique. - © Frédérique-Elsa Hugues/Médiathèque IRSN

Pour Évelyne Allain, également membre du comité Odiscé et directrice de l’Iffo-RME (Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l’environnement) : « La jeunesse présente un double enjeu. D’abord, c’est un public en situation d’apprentissage : leur apporter des supports pédagogiques et déployer des actions innovantes sont utiles pour bâtir une citoyenneté de demain plus éclairée en la matière. D’autre part, les jeunes sont un vecteur de dialogue avec la cellule familiale. Nous créons ainsi, à travers ces actions, les conditions de ce dialogue en leur apportant de l’information. » Dans le cadre scolaire, l’implication des jeunes dans la surveillance environnementale nécessiterait la formation préalable des enseignants.
En dehors de l’école, les jeunes peuvent également être sensibilisés par le jeu. « Les outils ludo-pédagogiques sont très adaptés pour ces thématiques », souligne Évelyne Allain. L’Iffo-RME réfléchit actuellement à la mise en place d’un concept original à mi-chemin entre le forum d’information et l’escape game. « Cela s’appellerait Atom’investigation. Les jeunes devraient y résoudre des énigmes sur le thème du nucléaire pour atteindre les stands suivants du forum. »

3. S’appuyer sur des expériences passées impliquant des bénévoles

Des citoyens participants au projet des « nez normands », un programme de surveillance de l’air, visitent un site de la région de Rouen pour mieux comprendre le risque industriel. - © Atmo Normandie

L’idée de s’appuyer sur des bénévoles dans la surveillance environnementale n’est pas nouvelle. Depuis plus d’une vingtaine d’années, en Normandie, un dispositif d’alerte sur la qualité de l’air est déployé à travers un projet particulièrement original : les « nez normands ». Ces nez sont des habitants bénévoles qui ont reçu une formation de description des odeurs par l’association de surveillance de la qualité de l’air en Normandie (Atmo Normandie)2. « Ce sont de véritables capteurs vivants. Ils peuvent identifier des situations préoccupantes jusqu’à des pollutions, au regard de leurs capacités à analyser des odeurs », explique Guillaume Blavette, membre du comité Odiscé et de France Nature Environnement (FNE). Cela a notamment été le cas en janvier 2021 lorsque de fortes odeurs ont été ressenties à Rouen et qui correspondaient, en fait, à un dysfonctionnement grave sur le site de l’usine Multisol. Ces lanceurs d’alerte olfactifs détectent des situations préoccupantes et alertent les pouvoirs publics à temps. « Ce dispositif contribue à une meilleure connaissance du territoire et permet aux industriels de vérifier leurs process », ajoute-t-il en rappelant, par exemple, que l’entreprise Cargill a réussi à diviser par sept ses émissions de COV (composés organiques volatils) en 2010 grâce à un partenariat mis en place avec Atmo Normandie et les nez normands. « Cela change finalement le regard des industriels sur la société civile. Ils voient désormais les habitants du territoire non plus comme des contraintes, mais comme des partenaires dans la surveillance de la qualité de l’air. »

4. Élargir l’accès aux données environnementales existantes

Au travers d'une interface intuitive, le site www.mesure-radioactivite.fr met à disposition du grand public les 300 000 mesures de radioactivité réalisées en France chaque année. - © https://www.irsn.fr/actualites/lasn-lirsn-simplifient-lacces-donnees-surveillance-environnementale-avec-nouvelle

Nombre de données sont déjà publiques, qu’elles soient radiologiques, sur les sites de l’IRSN ou du RNM (Réseau national de mesure de la radioactivité de l’environnement), ou sur les risques industriels, par l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques). Mais en dehors des scientifiques ou des associations qui travaillent sur ces enjeux, ces données sont-elles consultées ? « Malheureusement, ces bases de données et les informations sur les quantités de rejets des centrales nucléaires, par exemple, sont très peu connues du grand public », constate Guillaume Blavette, qui rencontre souvent des riverains d’installations nucléaires. C’est souvent lors d’épisodes médiatisés ou de situations préoccupantes que ces données sont consultées. Mais rarement pour de la surveillance quotidienne en situation normale. La raison ? « Il y a un défaut d’éducation à l’environnement, un défaut de culture du risque dans notre pays et ce malgré l’argent dépensé pour faire des prélèvements et des mesures », regrette l’enseignant militant. La solution miracle n’existe sûrement pas. Mais il constate tout de même une plus grande sensibilité des résidents de la région de Rouen en matière de qualité de l’air. « Grâce aux nombreuses publications sur les réseaux sociaux, les habitants prennent conscience de l’importance des données et commencent à mieux les comprendre et les interpréter ». Il est prévu de s’appuyer sur les recommandations d’un groupe de travail pluraliste afin de faire évoluer le site web du RNM et de le rendre plus accessible et compréhensible par le grand public.

5. Évaluer les impacts cumulés

Surveiller les rejets radioactifs des installations nucléaires est un point essentiel, mais est-ce suffisant ? « La réglementation impose aux exploitants nucléaires de contrôler, à une certaine fréquence, toute une palette de polluants radioactifs et chimiques. Mais elle n’est absolument pas suffisante pour comprendre l’accumulation des impacts sur l’environnement depuis plusieurs dizaines d’années », s’inquiète Guillaume Blavette. C’est le cas notamment du tritium, un radionucléide dont les rejets sont surveillés par les exploitants nucléaires et l’IRSN. « Le problème avec le tritium est connu. Il entre dans les chaînes alimentaires et s’accumule dans la nature », rappelle-t-il. Selon lui, il est indispensable de mener des cartographies globales, à l’image de ce qu’avait fait l’IRSN il y a quelques années, lors de constats radiologiques régionaux3. Cependant, cela se limitait au marquage radiologique, sans prendre en compte les multiples expositions.
Des études globales permettraient ainsi de donner à un instant T une photographie des différentes expositions du public résultant d’épisodes passés (comme l’accident de Tchernobyl, par exemple) ou d’activités industrielles moins connues. « Il faut généraliser ces cartographies à de nombreuses régions, car c’est un outil essentiel pour aller au-delà de la réglementation. Une vision globale des milieux favorisera une meilleure gestion post-accidentelle, si cela devait arriver un jour », insiste-t-il. Elles nécessiteront des partenariats avec d’autres instituts.

 

1. Avis n° 1 du comité Odiscé : implication de la société civile dans la surveillance par l’IRSN de l’état radiologique de l’environnement, adopté lors de la séance du 28 novembre 2022.

2. Atmo Normandie, membre de la fédération Atmo France, est une association agréée par le ministère en charge de l’environnement. Elle s’occupe notamment de la surveillance de la qualité de l’air.

3. Les constats radiologiques régionaux sont effectués par l’IRSN et viennent en complément de la surveillance régulière de la radioactivité dans l’environnement. Eau, air, sol et denrées alimentaires sont étudiés dans une zone géographique définie.


Article publié en novembre 2023