Radiothérapie avec accélérateur autoblindé : analyse des risques et recommandations

Pour la première fois en France un accélérateur de radiothérapie intégrant un blindage capable d’atténuer fortement les rayons X est mis en service fin 2022. Cette protection devrait permettre son utilisation hors d’un bunker. Les spécialistes de l’IRSN mènent une expertise en radioprotection afin d’analyser les principaux risques liés à cette technologie et de proposer des recommandations visant à assurer la radioprotection des travailleurs.

Au Centre de cancérologie de la porte de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), Célian Michel (à gauche), physicien médical à l’IRSN, et Hilaire Huet de Froberville, conseiller en radioprotection, effectuent des mesures autour de l’accélérateur autoblindé. - © Florence Brochoire/Signatures/Médiathèque IRSN

TEMOIGNAGE – Hilaire Huet de Froberville : « Une dose annuelle évaluée à moins de 1 mSv/an »

Hilaire Huet de Froberville, physicien médical, conseiller en radioprotection (CPR) et responsable du service de physique médicale au Centre de cancérologie de la porte de Saint-Cloud, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). - © Florence Brochoire/Signatures/Médiathèque IRSN

« Notre centre de cancérologie s’équipe en 2022 d’un accélérateur de radiothérapie autoblindé (1). Il permet d’être installé dans un espace dépourvu de bunker, aux dires du constructeur. Après installation, nous entamons une campagne de mesures de débits de dose afin d’évaluer le risque radiologique et les niveaux d’exposition liés à cette machine. Sur les conseils de l’IRSN, qui a été saisi par l’ASN, nous procédons à des mesures autour de la zone d’exclusion de la machine, délimitée par une ligne rouge au sol, et au niveau du pupitre de commande, à différentes hauteurs, pour les cinq orientations principales du faisceau : les quatre points cardinaux et un angle oblique.
Résultat : nous retrouvons des mesures proches de celles des études scientifiques relatives à la radioprotection de ce dispositif. Toutefois, les mesures de débit peuvent varier du simple au double en quelques centimètres (en latéral). L’efficacité de l’enceinte blindée n’est donc pas homogène. À la suite de ce constat, deux campagnes de mesures conjointes entre l’IRSN et le constructeur sont menées pour cartographier précisément cet accélérateur.

Évaluer l’exposition du personnel

Nos mesures identifient quelques points chauds et un angle relativement “froid” dans la salle de traitement, à l’endroit où le constructeur propose par défaut d’installer le pupitre de commande. La salle où nous avons installé la machine est un ancien bunker réaménagé, duquel nous avons retiré la porte blindée. Par mesure de précaution, nous installons le pupitre à l’extérieur de la salle de traitement, plus éloigné de l’accélérateur que ne le propose le constructeur.
À partir de ces mesures, nous évaluons l’exposition de notre personnel en prenant en compte la charge de travail, son temps passé sur la machine métier par métier, avec une hypothèse de 1 800 patients traités par an, soit 15 séances par jour. C’est une fourchette haute. Pour 18 000 unités moniteur (UM) par séance, nous arrivons à une exposition des manipulateurs, qui est le personnel le plus concerné, inférieure au seuil de 1 mSv/an. »

1. Cet accélérateur, nommé ZAP-X, est un accélérateur linéaire gyroscopique qui permet de traiter des tumeurs cérébrales.


INFOGRAPHIE – Accélérateur de radiothérapie autoblindé : quelles sont les recommandations pour la radioprotection ?

Un centre de radiothérapie installe un accélérateur de radiothérapie autoblindé. Avant son utilisation en clinique, quelles sont les mesures à prendre et quelles sont les recommandations des experts de l’IRSN ? L’objectif étant d’assurer une radioprotection optimale des professionnels de santé.

© T. Cayatte/Agence Ody.C/Médiathèque IRSN/Magazine Repères

AVIS D’EXPERT – Magali Édouard et Célian Michel : « Face au manque de données, la prudence est de mise »

Magali Édouard et Célian Michel, physicien.ne médical.e à l’IRSN - © Eloi Bauduin /IRSN

« Lors d’une utilisation clinique, le faisceau de rayons X émis par l’accélérateur est dirigé sur la tumeur du patient. Certains de ces photons sont diffusés en interagissant avec le patient mais également avec divers éléments présents à l’intérieur de l’accélérateur – collimateur, coque blindée, etc. Au total, environ deux cents orientations sont disponibles pour le faisceau de traitement lors de son utilisation clinique. Toutefois, hors fonctionnement clinique, le constructeur n’a prévu que cinq positions de faisceaux accessibles pour les mesures de débits de dose autour de l’appareil. Cela pose la question de la représentativité de ces mesures par rapport à une utilisation en conditions cliniques. Les données du constructeur et les rares études scientifiques disponibles sur le sujet, fondées sur ces cinq positions, offrent donc une vision parcellaire du risque radiatif qui invite à la prudence. Existe-t-il d’autres points chauds que celui que nous avons identifié ? Du fait des multiples orientations utilisées au cours d’un traitement et donc de la variabilité des débits de doses engendrés autour de la machine, que cela donne-t-il sur l’année du point de vue du cumul de doses pour le personnel médical ? Ces “angles morts” révèlent la nécessité de mesurer la dose réelle pour différents types de traitements afin de consolider l’évaluation des risques d’exposition externe, et d’effectuer un suivi rapproché de l’exposition des travailleurs jusqu’à stabilisation des pratiques. Le retour d’expérience sur ces données sera par ailleurs très utile pour l’aménagement de futurs centres souhaitant s’équiper d’un tel dispositif. »


INFORMATIONS PRATIQUES

Première en France

Pour cette première expertise française sur cet accélérateur*, les scientifiques de l’IRSN s’appuient sur les deux principales publications disponibles en 2022 dans la littérature relative à la radioprotection concernant ce dispositif1 2. Ils échangent avec différents centres munis de cette installation (Allemagne, Japon, États-Unis). Ils visitent l’un d’entre eux, à Munich, et discutent des éléments qui ont guidé leurs choix d’aménagement et les dispositions de radioprotection mises en place. Ils dialoguent également avec les autorités de radioprotection de ces pays, ainsi que celles de la Suisse et de l’Espagne, pour bénéficier de leur retour d’expérience.

* Le rapport a été conçu afin d’accompagner les centres lors de l’évaluation des risques radiologiques sur la base des données disponibles jusqu’à mi-2023 et n’intègre donc pas d’éventuelles améliorations techniques apportées par le constructeur depuis cette date.

1. Weidlich et al., Self-Shielding for the ZAP-X®: Revised Characterization and Evaluation, Cureus, 2021
2. Cao et al., Evaluation of Radiation Shielding Requirements and Self-shielding Characteristics for a Novel Radiosurgery System, Health Phys., 2021

Autorisation de l’ASN

Avant de se munir d’une telle installation, une autorisation de l’ASN est nécessaire. Pour faire une demande, un formulaire est disponible sur sûreté nucléaire.fr, dans les onglets « activités médicales », puis « radiothérapie » de l’espace professionnel du site : https://www.asn.fr/espace-professionnels/activites-medicales/radiothera…

Pour consulter l’avis de l’ASN paru en octobre 2024, fondé sur l’avis du Canpri et les travaux de l’IRSN : https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/premier-avis-du-canpri-et-p…

Le rôle clé du Canpri

Le Comité d’analyse des nouvelles techniques et pratiques médicales utilisant des rayonnements ionisants (Canpri) identifie et analyse les enjeux des nouvelles techniques et pratiques médicales en matière de radioprotection. Il est placé auprès du directeur général de l’ASN et composé de professionnels de santé qui exercent dans les domaines utilisant les rayonnements ionisants. Ses premiers travaux portent sur la radioprotection des patients avec le ZAP-X.
https://www.asn.fr/tout-sur-l-asn/groupes-permanents-d-experts#comite-c…

Responsabilité de l’employeur

L’employeur est responsable de la radioprotection des travailleurs. Il doit à ce titre désigner un conseiller en radioprotection qui émet des recommandations et participe à la gestion du risque lié aux rayonnements ionisants. L’employeur doit fournir les moyens techniques, humains et financiers nécessaires à l’exercice de cette fonction, y compris les outils de suivi dosimétrique des travailleurs.

Pour en savoir plus

Lire le rapport de l’IRSN (2023-00427) ainsi que les deux avis (2023-00017 ; 2023-00107) détaillant les recommandations :
Avis 2023-00017 : https://www.irsn.fr/sites/default/files/2023-03/Avis-IRSN-2023-00017.pdf

Avis 2023-00107 et rapport associé - voir la page IRSN : Radiothérapie : recommandations de radioprotection pour le dispositif ZAP-X® | IRSN

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Article publié en décembre 2024