Marine nationale, radioprotection en rade de Brest

Des invités peu ordinaires séjournent parfois en rade de Brest : les navires et sous-marins nucléaires. Les radioprotectionnistes du site surveillent cette baie exceptionnelle et protègent des milliers de militaires, civils et riverains. Comment ? 

L’environnement atmosphérique, terrestre et marin autour de la base est surveillé. Les filtres à air des appareils de prélèvement des aérosols sont récoltés et analysés quotidiennement. Ces 5300 analyses annuelles servent à estimer l’impact annuel de la b
L’environnement atmosphérique, terrestre et marin autour de la base est surveillé. Les filtres à air des appareils de prélèvement des aérosols sont récoltés et analysés quotidiennement. Ces 5300 analyses annuelles servent à estimer l’impact annuel de la b - © Sophie Brändström/Signatures/Médiathèque IRSN

7 janvier 2020. En cette matinée hivernale, la rade de Brest est grise. La brume s’accroche aux mâts de la flotte. Un véhicule s’arrête sur les quais. Deux techniciens en sortent dans la bruine. Leur première mission du matin : la surveillance de l’environnement. Après avoir récupéré le filtre d’un appareil de prélèvement d’aérosols de la base, ils poursuivent vers une plage à proximité. Ce tour est la routine de leur service, depuis que la base a commencé à accueillir et entretenir des bâtiments à propulsion nucléaire, en 1970. À plusieurs kilomètres à la ronde, air, eau, faune, flore, sable, sont passés au peigne fin, pour vérifier l’absence d’impact des escales brestoises de la flotte nucléaire sur la population et les écosystèmes.
En charge de cette veille le LASEM, Laboratoire d’analyses de surveillance et d’expertise de la Marine. « Nous possédons aussi un système de surveillance nucléaire de la marine en temps réel, qui mesure et analyse des indicateurs clés, notamment dans l’air », explique le premier maître Fabrice, radioprotectionniste. Apte à lancer l’alerte, ce système est couplé à un logiciel de gestion de crise et d’aide à la décision. En cas de problème – heureusement jamais survenu – les marins en charge de ce système partageraient certaines des données avec l’IRSN, afin de cartographier les mesures. 

Apprendre les uns des autres 

Au laboratoire qui surplombe la base, le maitre Yvon, responsable des formations, prépare sa prochaine session. « Le travail du radioprotectionniste formateur est d’expliquer et surtout de rassurer. Le plus difficile est de faire simple avec des exemples parlants », raconte-t-il. En 2018, il a formé quelque 400 marins et civils, doublant les effectifs habituels pour répondre à la demande de l’équipage d’un sous-marin. Ces formations théoriques et pratiques, auxquelles le maitre Yvon cherche à donner un peu de légèreté, apprennent au personnel concerné par le risque radiologique à appliquer les mesures de radioprotection et maintiennent l’opérabilité des « pompiers du nucléaire1 » locaux. « Comme notre travail varie d’une affectation à une autre, selon le matériel et l’organisation – les véhicules d’intervention radiologique sont équipés différemment, les techniciens de radioprotection sont secondés ou non d’assistants etc. – la formation est aussi l’occasion d’apprendre les uns des autres, » témoigne l’un de ses collègues.
L’expertise de ses radioprotectionnistes fait du LASEM une instance de conseil scientifique et technique aux autorités maritimes et un acteur engagé dans la protection des populations et de l’environnement. 

1. Personnels de groupe 1 qui, en cas de crise, se rendent les premiers sur le site de l’incident ou de l’accident. 

La pratique au cœur des formations 

Les formations des « pompiers du nucléaire » sont en majeure partie pratiques. Exemple : pour maîtriser le fonctionnement d’un Centre de tri et de décontamination sommaire (CTDS), les exercices simulent déshabillage, douche et contrôle. Ils aident à intégrer les règles. 


La radioprotection stricte du personnel 

Les dix membres du laboratoire en charge de la radioprotection suivent des règles strictes de protection. Équipements de protection – gants, blouse… – et surveillance dosimétrique passive et parfois active sont de rigueur. Les données de chaque radioprotectionniste sont analysées sur une base régulière. 


Se préparer à un accident : simuler, s’entraîner 

Grâce au système de surveillance nucléaire de la Marine et à des logiciels connectés, des incidents sont simulés. Ceci permet aux équipes d’intervention de s’entrainer à réagir à une situation de crise radiologique. 


Le risque radon est surveillé 

La base navale est située dans une zone de catégorie 3 pour le risque radon, comme l’indique la carte radon de l’IRSN (www.irsn.fr//carte-radon). En concertation avec le conseiller en radioprotection, la cellule « radon » du LASEM installe les détecteurs. C’est une société extérieure qui les relèvera, puis effectuera les mesures, au plus tard deux mois après la pose. 


Assurer la maintenance du matériel 

Radiamètres, spectromètres… le matériel mobile de radioprotection est contrôlé, mensuellement et annuellement en interne. Tous les trois ans, c’est une société extérieure qui effectue le contrôle périodique de l’étalonnage. Les radioprotectionnistes effectuant la maintenance portent un dosimètre passif corps entier et extrémités, et un dosimètre opérationnel. 


DIAPORAMAS

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Tri et décontamination : exercices au coeur des formations

En cas d’accident ou d’incident les personnes valides présentes dans la zone concernée par l’accident sont orientées vers un Véhicule d’intervention radiologique (VIRAD), déployé en limite de cette zone, afin d’être ré-habillées. Le radioprotectionniste en formation reçoit maître Camille (ici dans le rôle de personne impliquée) dans l’aile du véhicule réservée aux personnes quittant la zone accidentée. Le traitement prend trois à quatre minutes par personne. Si les effectifs dépassent une dizaine de personnes, celles valides sont dirigées vers le Centre de tri et de décontamination sommaire (CTDS), chapiteau mobile spécialement conçu et équipé, installé en zone sûre. Le processus peut y être dédoublé et mené en environ dix minutes. 

Dans le VIRAD, le radioprotectionniste vérifie le niveau de contamination du personnel accidenté avec un contaminamètre. 

Le radioprotectionniste aide ensuite la personne impliquée – potentiellement contaminée et valide – à enfiler une tenue de protection et des surchaussures afin de limiter le transfert de la contamination lors du transit jusqu’au CTDS, puis les personnes nécessitant une décontamination sont dirigés vers un CTDS. Les éventuelles victimes ou personnes accidentées blessées seraient orientées vers une autre structure, le Point d’accueil des blessés radiocontaminés (PABRC) armé, sous la responsabilité du Centre médical des armées (CMA).

À l’arrivée dans un CTDS, le premier maître François (impliqué) est pris en charge par un radioprotectionniste. Son identité est vérifiée, il est interrogé sur l’endroit où il se trouvait au moment de l’incident. 

Maître Camille (à gauche), radioprotectionniste en exercice, est placé dans la partie du CTDS réservée au déshabillage. Son rôle : aider la personne impliquée à ôter ses habits avant la douche, en respectant les règles de sécurité. Dans ce cas précis, l’impliqué ne porte pas de vêtements sous sa tenue de protection. Celle-ci est retirée en l’enroulant sur elle-même, afin de diminuer la dispersion d’éventuelles particules.

Une fois déshabillé, l’impliqué prend une douche. L’équipement du CTDS comprend le nécessaire pour chauffer l’air et l’eau et procurer un minimum de confort aux personnes impliquées. L’eau est à température corporelle. Trop chaude, elle pourrait dilater les pores et faciliter la pénétration des éventuelles particules radioactives. Trop froide, elle irriterait la peau au séchage, à nouveau favorisant la pénétration de la contamination. 

Le premier maitre François (à gauche) se sèche en tamponnant sa peau. Là encore, il faut limiter l’éventuelle pénétration des particules. Le radioprotectionniste (à droite) surveille cette étape. 

Après la douche, le radioprotectionniste en formation (à gauche) contrôle l’impliqué à l’aide d’un contaminamètre. Si aucune contamination n’est relevée, la personne impliquée peut s’habiller avec des habits propres fournis. Il pourra demander une aide psychologique. En cas de contamination résiduelle, il sera dirigé vers une procédure de contamination plus poussée. Cette dernière met en œuvre des techniques. 


Délicate surveillance des éventuelles contaminations faibles

La présence dans l’air de tritium rejeté par les installations nucléaires de base secrète (INBS), fait partie des paramètres surveillés. Afin de piéger un maximum d’air, un dispositif spécifique placé en sortie de cheminées le fait percoler dans l’eau pendant sept jours. Ces échantillons sont analysés chaque semaine par un radioprotectionniste au Laboratoire d'analyses de surveillance et d'expertise de la Marine (Lasem). 

S’agissant des quantités de tritium présumées très faibles, la détection implique une procédure sensible. 10 ml d’eau de l’échantillon sont prélevés à l’aide d’une balance dont la précision est de l’ordre du dix-millième. La détermination de l’activité se fait grâce à l’ajout d’un liquide scintillant, puis elle est mesurée par un scintillateur liquide. 

Crédit reportage photo : Sophie Brändström/Médiathèque IRSN 


Article publié en janvier 2018