Contre vents et tornades, l’IRSN monte au filet

Comment protéger les réservoirs externes d’eau borée, qui refroidissent et traitent l’eau de la piscine du combustible sur les réacteurs de 900 MWe, contre d’éventuels projectiles soulevés par des vents extrêmes ? EDF prévoit des filets d’acier soutenus par une charpente métallique. Une solution qui, pour les experts de l’institut, n’est pas suffisante. 

Lors d’une tornade, des projectiles peuvent endommager le réservoir extérieur d’eau borée des réacteurs de 900 MWe. EDF prévoit de le protéger en installant une charpente métallique de poteaux et de poutres entre lesquels seront tendus des filets d’acier. - © Pierre Roussillon

Alors qu’une tempête peut projeter de lourds débris à plusieurs mètres de hauteur, nos centrales sont-elles bien protégées contre la force impressionnante des vents les plus violents ? L’Autorité de sûreté (ASN) ne dispose d’aucun guide de référence dans ce domaine. Une lacune qu’elle souhaite combler en 2019 en s’appuyant sur un groupe de travail piloté par l’IRSN, qui débouchera sur la publication d’un rapport en 2023. « Il dresse l’état des connaissances, des pratiques et des préconisations pour les agressions vent et neige, avec des recommandations pour les nouvelles installations nucléaires », explique l’experte en aléas naturels Claire-Marie Duluc, qui l’a dirigé.
Ce groupe de travail définit d’abord ce qu’il entend par « vent violent ». Pour s’accorder avec l’ensemble des autorités européennes de sûreté nucléaire, le seuil choisi est l’événement ayant 1 chance sur 10 000 chaque année de survenir. « Sauf que Météo-France n’est en capacité de fournir des mesures fiables que depuis les années 1980 », prévient Claire-Marie Duluc. Il est cependant possible de définir un vent cinquantennal (une chance sur 50), les experts du groupe s’accordant pour multiplier par 1,3 à 1,5 ce risque cinquantennal pour arriver à un seuil équivalent à celui de 1 chance sur 10 000.
Mais de quels vents parle-t-on ? « Il y a les vents dépressionnaires, qui sont ceux des tempêtes hivernales, et les vents d’orage. Ce ne sont pas les mêmes phénomènes météorologiques », explique l’experte. Alors que les premiers exercent une pression plutôt constante, les seconds tourbillonnent et sont beaucoup plus difficiles à mesurer.

Tornades

Et les tornades ? Elles ont fait l’objet d’une évaluation spécifique par l’IRSN en 2017. Paradoxalement, ces événements plus extrêmes sont plus faciles à mesurer, par les dégâts qu’ils laissent au sol. Cela a permis à l’ASN de fixer des exigences précises1 : les centrales doivent résister à une tornade de 200 kilomètres par heure, et jusqu’à 245 kilomètres par heure pour les parties les plus essentielles, voire 290 kilomètres par heure sur certains sites.
L’effet d’une tornade est très différent de celui des autres vents, car c’est un vortex avec de l’air chaud qui monte au centre et crée une forte dépression locale. Le bâtiment subit à la fois la pression du vent du vortex et la dépression de l’« œil », au centre. « Pour les ouvrages étanches, la pression à l’intérieur du bâtiment reste la même qu’avant que la tornade n’arrive, mais la pression à l’extérieur chute brutalement dans la zone de l’œil. Et certains bâtiments peuvent exploser. Avec souvent le toit qui est projeté vers le haut », prévient Serge Michelet, ingénieur de génie civil, qui a participé à l’avis2 émis par l’IRSN en 2017.

 

Les experts s’assurent que les filets métalliques qui protégeront le réservoir extérieur d’eau borée, sur les réacteurs de 900 MWe, pourront bien se déformer pour arrêter – sans se rompre – un tube d’acier perforant projeté par des vents violents. - © Pierre Roussillon

Projectiles

La centrale doit surtout être protégée des projectiles soulevés par le vent ou la tornade. Qu’ils soient mitraillants, comme des billes, ou perforants, comme des planches de bois, voire des tubes en acier.
Ce sont ces derniers que l’exploitant prend en compte pour évaluer l’impact d’une tornade sur le réservoir d’eau borée du système de traitement et de réfrigération des piscines, situé à l’extérieur du bâtiment du combustible pour les réacteurs de 900 MWe, à l’exception de Bugey. Bien qu’en tôle d’acier, ce réservoir pourrait être endommagé en cas d’impact par un tube d’acier perforant projeté par la tornade. Sur tous les réacteurs de 900 MWe (sauf Bugey), EDF propose un dispositif ambitieux de protection de ce réservoir externe par une charpente métallique constituée de poteaux et de poutres, entre lesquels sont tendus des écrans en acier de type « filets », conçus pour se déformer sans rompre et arrêter le projectile. Les experts de l’IRSN étudient la solution envisagée par l’exploitant. Les essais montrent que les écrans arrêtent bien le tube d’acier, avec néanmoins une réserve, qu’ils notent dans l’avis publié en 2022. « Les justifications présentées par EDF n’envisagent pas un impact en bordure de filets, voire sur le cadre qui les supporte », explique Pierre Roussillon, l’ingénieur en génie civil qui expertise ce dossier. Or plus l’impact est proche du bord, plus le dispositif est rigide et moins il se déforme. « Les efforts se concentrent et il pourrait y avoir arrachement du filet », poursuit-il.
Un second point concerne un éventuel impact sur la charpente elle-même, et en particulier sur les nœuds de raccordement entre poteaux et poutres. « Notre expertise montre qu’il y a une fragilité des ancrages et des assemblages », insiste l’ingénieur. Des simulations numériques, ou, mieux, des essais en situation réelle, permettraient de lever le doute. Pour la tranche 1 de la centrale du Tricastin, qui a néanmoins obtenu l’autorisation de l’ASN, EDF a convenu de protéger ces assemblages. Et sur les tranches suivantes ou les autres sites, l’exploitant propose de tenir compte de l’impact d’un tube directement sur la charpente.
Troisième interrogation : pour assurer la stabilité de cette charpente en cas de séismes, EDF utilise des croix de contreventement. « Mais nous ne savons pas comment se comportent les filets s’il y a une croix derrière », relève l’ingénieur. Car en bloquant la déformation du filet, elle ne permet pas à l’énergie du projectile de se dissiper progressivement. « Cela pourrait entraîner un déchirement », craint Pierre Roussillon, qui a préconisé qu’EDF étudie davantage cette configuration. L’ingénieur reste malgré tout optimiste : « Ce réservoir focalise un peu les discussions, mais nous finirons par converger. »

 

1. Courrier ASN CODEP-DCN-2021-017553 & CODEP-DRC-2021-017735 du 27 mai 2021
2. Avis IRSN n 2017-0087 du 14 mars 2017 : Risques liés aux tornades sur les installations d’Areva, du CEA et d’EDF – Méthodologie de prise en compte des effets sur les structures de génie civil et les équipements.


En chiffres

  • 200 à 225 km/h

    C’est la vitesse maximale, mesurée en France par le réseau Météo-France, pour les plus fortes rafales, qui restent mal mesurées. (Source Rapport IRSN 2023-00142 – État des connaissances, des pratiques et préconisations concernant les agressions vent et neige sur les installations nucléaires de base).

  • 200 km/h

    C’est la vitesse des vents de tornade que doivent supporter toutes les centrales nucléaires françaises. L’exigence monte à 245 km/h (voire 290 km/h sur certains sites) pour les éléments les plus essentiels.

Pour en savoir plus

AVIS IRSN n° 2022-00193 : Modification matérielle concernant la mise en place de protections passives de l’îlot nucléaire contre la tornade. 
Rapport IRSN n° 2023-00142 « État des connaissances, des pratiques et préconisations concernant les agressions vent et neige sur les installations nucléaires de base »
Tempêtes et événements extrêmes : Repères#42



Article publié en avril 2024