Les températures augmentent ? La sûreté aussi !

Face aux canicules qui se font plus intenses et plus fréquentes, les centrales nucléaires doivent prouver leur capacité à maintenir les équipements dans des gammes de température supportables. En installant, par exemple, des brumisateurs d’eau pour réfrigérer l’air entrant dans les bâtiments les plus sensibles. Un dispositif que l’IRSN a expertisé.

L’impact des températures élevées sur la sûreté des centrales est une préoccupation croissante, tout comme l’accès à l’eau de refroidissement. Ici, le fleuve Meuse, dont le débit frôle le seuil critique des 20 mètres cubes par seconde.

Côté températures, l’année 2023 aura encore battu des records, avec un mois de juillet le plus chaud jamais enregistré sur Terre, et un mois de septembre le plus chaud en France. Des pics de chaleur qui, selon Météo-France, deviendront de plus en plus fréquents. Avec quel impact sur la sûreté des centrales d’EDF ?
Depuis les canicules de 2003 et 2006, étudier l’impact des températures élevées sur les centrales existantes ou en projet, est une préoccupation croissante au sein de l’Institut. « EDF doit vérifier qu’on n’atteint pas, dans les locaux, les températures maximales admissibles par les matériels, comme les pompes d’alimentation de secours des générateurs de vapeur ou autres », rappelle Émilie Pariaud, ingénieure en sûreté. D’autant que sur la base d’une expertise menée par l’IRSN1, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a renforcé, en 2019, les exigences2.
Concrètement, l’exploitant doit démontrer, dossier à l’appui, que ses centrales en fonctionnement supportent une température n’ayant pas plus d’une chance sur cent par an d’être dépassée, à l’horizon des prochains réexamens périodiques de sûreté (température dite « centennale »), voire désormais, en ajoutant une majoration, une chance sur 10 000 (cette température « décamillénale » étant intégrée dans le référentiel des futurs réacteurs).
Or plusieurs composants de la centrale peuvent être altérés par les fortes chaleurs. « Les matériels électroniques sont les plus sensibles. Au-delà d’une certaine température, ils peuvent subir un vieillissement accéléré, voire cesser de fonctionner », précise Bertrand Pelloux, ingénieur en sûreté nucléaire à l’IRSN. Dès avril-mai, EDF active la première phase de son dispositif estival d’alerte, au cours de laquelle il s’assure notamment que les systèmes de refroidissement de l’air dans les locaux sont opérationnels. Puis, selon les températures extérieures prévues ou atteintes, les sites passent successivement en phase de vigilance, de préalerte et d’alerte, jusqu’à l’arrêt des réacteurs si la canicule est trop intense.

Campagnes de mesures

Les campagnes de mesures menées depuis 2019 par l’exploitant aident à déterminer ces seuils d’alerte. « Elles valident les températures qu’EDF, à partir de celles de l’extérieur du site, calcule à l’intérieur des locaux », explique Lise Bardet, spécialiste des risques météorologiques. Car c’est bien la température supportée concrètement, dans les locaux, comme les halls diesel, par les matériels, qui en définitive importe. « Ces campagnes sur site permettent de vérifier que les températures mesurées restent inférieures à celles que peuvent supporter les matériels et aux maxima que les modèles thermiques utilisés par EDF dans sa démonstration de sûreté ont simulés », précise Bertrand Pelloux, qui les analyse au sein de l’IRSN.
Mais quand la chaleur devient trop forte, dépasse 35 °C, voire 40 °C, comment protéger les équipements ? Pour le palier N4, les réacteurs les plus gros et les plus récents du parc français3, EDF propose en 2020 d’ajouter des brumisateurs d’eau dans les entrées d’air des bâtiments où se trouvent les générateurs diesel qui alimentent en électricité la centrale en cas de déconnexion accidentelle du réseau. Ces diesels doivent pouvoir être mis en route quoi qu’il arrive. Or leur fonctionnement n’est plus garanti au-delà d’une température ambiante de 55 °C. Les armoires électriques de ces groupes électrogènes sont un autre équipement vital à surveiller. « De gros ventilateurs font circuler l’air extérieur dans ces locaux pour en évacuer la chaleur. Or, à Chooz (Ardennes) et à Civaux (Vienne), EDF s’est rendu compte que ça ne suffisait pas lorsque les températures étaient trop importantes. L’industriel a proposé de brumiser de l’eau dans les entrées d’air, par des buses disposées sur deux ou trois rampes successives. L’évaporation des gouttelettes d’eau abaisse la température de l’air », explique Émilie Pariaud.
Ces brumisateurs sont-ils efficaces ? Et l’humidité engendrée par l’évaporation ne va-t-elle pas altérer les équipements électriques ? C’est ce que vérifie l’Institut. « Pour concevoir ce système de brumisation, EDF a fait quelques essais sur maquette, que nous n’avons pas jugés représentatifs de la situation réelle », indique Émilie Pariaud. En 20214, l’IRSN recommande qu’EDF réalise, une fois les brumisateurs installés, des essais grandeur nature en période de forte chaleur. Ces essais montrent que cet équipement est performant pour abaisser la température effective dans le bâtiment.

Éléments essentiels de sûreté, les générateurs diesels d’ultime secours – sur le site de la centrale du Blayais (Gironde) dans le bâtiment au toit bleu – doivent être ventilés et réfrigérés pour fonctionner, quelle que soit la température extérieure. - © Florence Levillain/Signatures/Médiathèque IRSN

Réalimenter en eau

Encore faut-il qu’ils disposent d’une quantité d’eau suffisante. Pour brumiser suffisamment longtemps lors des canicules persistantes, EDF prévoit de réalimenter leur réservoir, sur le site de Chooz, en le raccordant au système incendie. Une réalimentation qui n’est actuellement pas envisagée sur le site de Civaux. EDF doit se prononcer sur ce dernier point que l’IRSN expertisera. Il est également important que l’exploitant s’assure que ce réservoir, situé sur le toit du bâtiment diesel, ne puisse pas devenir un projectile en cas de tornade. Ces équipements ne doivent pas, en effet, induire eux-mêmes de nouveaux risques pour la sûreté. EDF a décidé d’installer également des récupérateurs d’eau pour limiter les risques d’écoulement, notamment sur les matériels électriques. Cette brumisation pourrait à terme être étendue aux réacteurs de 1 300 MWe.
Sera-t-elle suffisante pour que les diesels fonctionnent même sous canicule forte ? C’est ce qu’essaie de déterminer l’exploitant en menant des campagnes d’essais, analysées au sein de l’Institut par Xavier Tiret, ingénieur expert de ces groupes électrogènes de secours. « EDF les fait régulièrement tourner à pleine puissance pour vérifier leur bon refroidissement », explique l’expert. Idéalement, il faudrait réaliser ces essais, lourds à planifier, lors des jours les plus chauds. Ce qui n’est pas possible, car ils ne sont pas connus suffisamment à l’avance. Les experts utilisent des modèles, pour extrapoler le comportement des systèmes de refroidissement de chaque diesel aux hautes températures. Or, après avoir analysé les essais effectués chaque été, Xavier Tiret n’est pas convaincu par les critères retenus par l’industriel pour ses modèles. « Non pas que le refroidissement soit forcément insuffisant, mais les résultats sont tellement différents d’un groupe électrogène à l’autre qu’il est impossible d’en tirer des enseignements », souligne-t-il, en reconnaissant cependant qu’EDF met beaucoup d’énergie pour régler ce problème. Peut-être la campagne de 2024 permettra-t-elle enfin de lever le doute…

 

1. Avis IRSN n° 2020-00010
2. Demandes AGR-A et AGR-C de la décision ASN pour les sites de 900 MWe (réexamen RP4 900) et reprise dans les orientations du réexamen RP4 1300 et du réexamen RP3 N4.
3. Le palier N4, constitué de 4 réacteurs de 1 450 MWe, constitue le troisième et dernier palier du parc nucléaire français en fonctionnement. Il s’agit des réacteurs Chooz-B1, Chooz-B2, Civaux-1 et Civaux-2.
4. Avis IRSN n° 2021-00127


En chiffres

  • 45,7 °C

    C’est la température extérieure la plus élevée envisagée sur le parc en exploitation ; elle concerne la centrale nucléaire du Tricastin.

  • 41,3 °C

    C’est la température la plus élevée relevée à Gravelines (été 2019), où se trouve la centrale nucléaire la plus au nord en France.
    (Source : AVIS IRSN n° 2022-00081)

Pour en savoir plus

Avis IRSN n° 2020-00010 : Retour d’expérience de la canicule de l’été 2019
AVIS IRSN n° 2022-00240 : Réacteurs électronucléaires d’EDF – Tous paliers – Températures de l’air du référentiel Grands Chauds.


INFOGRAPHIE - Centrales nucléaires : comment contrer les grands chauds

Du choix d’une température seuil à la mise en place d’équipements spécifiques, les experts de l’IRSN vérifient étape par étape que les centrales nucléaires sont bien protégées contre les canicules les plus extrêmes.

© T.Cayatte/Agence Ody.C/Médiathèque IRSN/Magazine Repères


Article publié en avril 2024