REPORTAGE - Évaluer aujourd’hui les canicules de demain

En utilisant de nouveaux outils statistiques consacrés aux événements extrêmes, Occitane Barbaux, étudiante en thèse de doctorat, précise les températures les plus élevées que devront probablement affronter les centrales en France d’ici à la fin du siècle. Un travail qui renforce l’expertise de l’IRSN sur les modèles climatiques.

Les sondes thermométriques – ici celles du Centre national de la recherche météorologique à Toulouse –, fournissent les données de terrain. Elles permettent à Océane Barbaux, en thèse à l’IRSN, d’anticiper les températures maximales à l’horizon 2100. - © François Boutaud / Signatures / Médiathèque IRSN

Le quotidien d’Occitane Barbaux, au milieu des vastes pelouses du campus de Météo-France de Toulouse, paraît tranquille. Elle récupère les données de stations météorologiques, les intègre aux modèles pour en faire une analyse statistique. Tout cela depuis son ordinateur. Mais sous cette sérénité apparente, c’est bien l’enfer qu’elle étudie : celui que le réchauffement climatique nous réserve dans le siècle à venir.
Le problème que cette doctorante de 27 ans, experte en statistique, essaie de résoudre au sein de l’école doctorale Sciences de l’Environnement d’Île-de-France est critique : en contexte de changement climatique, quelles sont les températures extrêmes possibles d’ici à 2100 sur un site ?
« Ce n’est pas simple, parce que quand le Giec1 dit que le climat va se réchauffer de 4 °C, cela ne signifie pas qu’il y aura 4 °C de plus sur les canicules. Les climatologues savent seulement qu’il y aura des canicules plus fréquentes et que des températures considérées aujourd’hui comme extrêmes seront devenues banales », soulève-t-elle. « Il faut en outre intégrer toute l’incertitude sur les scénarios d’émission de gaz à effet de serre et sur l’ampleur du réchauffement induit. Et les méthodes statistiques utilisées précédemment valaient pour un monde qui était stable », précise Aurélien Ribes, chercheur expert en statistiques du climat au Centre national de recherche météorologique, qui coencadre ce travail dirigé par Philippe Naveau, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.

Pour déterminer les futures températures maximales, Occitane Barbaux jongle avec les incertitudes : celle des scénarios d’émission, celle du réchauffement global induit, mais aussi celle des effets d’échelle pour localiser les prévisions sur un site particulier.

28 modèles

Or se projeter en 2100 est vital pour l’industrie nucléaire. Car les centrales que l’on prévoit de construire aujourd’hui seront encore en service à cette échéance. Contribuer à les rendre plus sûres, tout en nourrissant sa passion pour les mathématiques, cela faisait deux bonnes raisons pour l’ancienne étudiante de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique d’entamer cette thèse proposée et cofinancée par l’IRSN. « Mais il m’a d’abord fallu absorber toute la vision de la sûreté nucléaire et toute la connaissance en climatologie, c’était un vrai défi », raconte Occitane Barbaux, qui jongle depuis avec les modèles climatiques – 28 au total ! Elle les combine avec les mesures locales de température de Météo-France pour conjecturer celles que l’on peut attendre à l’échelle hyperlocale d’un site – celui de Tricastin (Drôme) par exemple – et non d’une région entière.

À partir des modèles de réchauffement global (sur l’écran de droite, augmentation de la fréquence des vagues de chaleur fournie par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Occitane Barbaux calcule le nombre d’occurrences prévisibles d’une température donnée sur une période de temps. Un paramètre clé pour dimensionner les futures centrales.

Approche bayésienne

Pour y parvenir, Occitane Barbaux applique une approche « bayésienne » : partir d’un a priori, et le rectifier à mesure que les observations l’affinent, en donnant d’autant plus de poids à une donnée qu’on a confiance dans celle-ci. Tel modèle ou telle série de mesures seront par exemple considérés comme plus fiables que d’autres, et donc davantage pris en compte. À elle d’en déduire la distribution de températures la plus vraisemblable, en utilisant les outils mathématiques développés par l’équipe d’Aurélien Ribes.
Pour Nathalie Bertrand, ingénieure chercheuse sur l’évaluation des agressions externes extrêmes à l’IRSN, qui coencadre ce travail, « l'intérêt pour l’institut est justement de mieux connaître ces outils développés par la communauté des climatologues. Nous travaillons avec nos propres outils sur les données mesurées par Météo-France, mais il est maintenant aussi nécessaire d’y ajouter les connaissances sur les scénarios et tendances climatiques à l’horizon 2100. » Car entre prévoir à dix ans ou à cent ans, le saut n’est pas que quantitatif. C’est un tout autre monde que l’on étudie. Et que les calculs d’Occitane Barbaux esquissent.

Aurélien Ribes (à droite), chercheur en statistiques du climat au CNRM, coencadre ce travail. Il y apporte la puissance de nouveaux outils statistiques, mieux adaptés aux mesures extrêmes, qu’il développe avec son équipe.

1. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts.

 

Reportage photo : © François Boutaud / Signatures / Médiathèque IRSN